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LES AMITIÉS LITTÉRAIRES.

la fierté emphatique. Il accueille la louange et le remerciement comme une effusion spontanée, mais ne permet pas à l’émotion du poète de troubler la sérénité de sa pensée. Il assiste à la gloire de son ami avec un entier désintéressement. Un jour peut-être il changera de rôle et tentera pour son compte de gravir les cimes laborieuses de la renommée ; aujourd’hui sa tâche est plus humble, mais réclame cependant l’emploi de toutes ses forces. C’est à lui qu’il appartient d’aller au devant des doutes qui ne sont pas encore nés, d’épier sur les lèvres immobiles le sourire incrédule qui n’a pas encore plissé la bouche, et de réfuter les doutes et les sourires avant qu’ils ne soient devenus contagieux. Cette tâche assurément n’a rien d’éclatant ni de glorieux, mais suffit à contenter une âme généreuse et dévouée.

Interpréter chaque jour pour la foule inattentive et distraite l’œuvre dont il a suivi l’entier épanouissement, est pour le critique sérieux un rôle presque aussi actif que celui du poète. Les applaudissemens, s’ils lui arrivent, ne lui appartiendront jamais sans partage. S’il a révélé dans un drame ou dans un roman, dans un recueil d’odes ou d’élégies, des beautés mystérieuses qu’une rapide lecture n’aurait pas découvertes, si par d’habiles transformations il a simplifié, sans l’altérer, la pensée du poète, c’est au poète que reviendra la meilleure partie des applaudissemens. Mais le poète et le critique sont unis entre eux par une amitié trop étroite pour que la jalousie puisse les diviser ; car le critique, sans être pour le poète ce que le gui est pour le chêne, n’a cependant pas, à cette heure de dévouement et d’abnégation, une personnalité assez nette, assez tranchée, pour vivre par lui-même d’une vie indépendante et complète. Résolu à aider de toutes ses forces l’avènement du poète dont il a entendu les premiers bégaiemens, décidé à construire de ses mains le trône sur lequel il veut asseoir son ami, il met toute sa joie dans la joie qu’il contemple, il est heureux du bonheur qu’il a fait, et n’entrevoit pas, dans un avenir prochain, le bonheur égoïste et solitaire.

La condition intellectuelle que j’essaie de peindre, en la réduisant à ses élémens les plus généraux, prépare au poète et au critique des triomphes multipliés. Appuyés l’un sur l’autre, ils marchent d’un pas assuré à la conquête des esprits rebelles. Dégagé du souci de la discussion, le poète se renferme tout entier dans