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LES AMITIÉS LITTÉRAIRES.

absolument ; mais toutes ces révélations de la lecture sont lentes, laborieuses, et ne réussissent pas toujours à éclairer d’un jour complet le mystère de l’enfantement poétique. Le poète à l’œuvre, qui se débat sous le dieu et frémit sur le trépied, est par lui-même un enseignement inappréciable, une leçon vivante, et que nulle lecture ne saurait remplacer. Assister au développement progressif, à l’élargissement régulier de la pensée, voir comment les idées s’ordonnent et s’enferment concentriquement l’une dans l’autre, c’est plus qu’apprendre la stratégie, c’est assister à une bataille. Privé du secours de cette leçon vivante, le critique pourrait poser des prémisses très vraies, et déduire de ces prémisses des conclusions irrécusables ; mais il ne porterait pas la lumière de la dialectique dans toutes les parties de la discussion, ou plutôt il ne poserait pas tous les problèmes particuliers compris dans un problème général, parce qu’il ne lui serait pas donné d’entrevoir tous ces problèmes par la seule force de l’induction.

Il est donc vrai que le poète et le critique, en vivant dans une intime familiarité, s’instruisent mutuellement et agrandissent chaque jour le champ de leur pensée. Il est donc vrai que l’inspiration, surveillée par la réflexion, et la réflexion, fécondée par le spectacle permanent de l’inspiration, se doivent une mutuelle reconnaissance. Dans cette involontaire initiation, chacun donne et reçoit dans la même mesure ; celui qui se montre et celui qui regarde, celui qui interroge et celui qui répond, s’enrichissent dans une proportion égale, et n’ont rien à regretter dans leur générosité. Chacun des deux étant pour l’autre l’occasion et la cause d’un enseignement, n’a qu’à se féliciter de ce perpétuel échange de pensées. Il serait impossible de déterminer lequel des deux joue le premier rôle, lequel des deux est l’obligé. Car cette initiation a cela de singulier, que les deux interlocuteurs sont à la fois prêtres et néophytes ; le poète et le critique ont toujours une question à offrir en échange de la question qu’ils viennent de résoudre. Ces deux intelligences, qui s’épient et se guettent, non par ruse, mais par bienveillance, non pour se tromper, mais pour s’éclairer mutuellement, ont droit au même respect, à la même soumission. Le poète qui crée et qui souvent limite sa pensée à l’horizon de son œuvre, ne peut traiter avec dédain l’esprit auquel il confie tous ses projets, et qui, n’ayant enchaîné son activité à aucune idée