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LES AMITIÉS LITTÉRAIRES.

une à une toutes les difficultés qu’il avait d’abord méconnues, et découvre au fond du préjugé populaire des parcelles de bon sens et de raison qu’il n’avait pas soupçonnées. Il s’explique la résistance qu’il a rencontrée sur sa route, et à mesure qu’il juge mieux ses adversaires, il sent faiblir sa colère et grandir son espérance. Il arrive enfin à estimer la foule qu’il combat, à prévoir la durée de la guerre ; il trace avec une lenteur persévérante ses lignes de circonvallation ; il se retranche dans son camp en attendant l’ouverture de la campagne. Il n’a plus l’enivrement de la solitude ; il est tout à la fois résolu et clairvoyant, hardi et réservé, ambitieux et prudent. Mais à qui doit-il ce progrès inattendu ? À qui, si ce n’est à l’amitié ? N’est-ce pas dans la discussion franche et complète de ses idées qu’il a puisé le courage de les soutenir jusqu’au bout ? N’est-ce pas dans la discussion qu’il a entrevu pour la première fois la nécessité d’étudier l’armée ennemie avant de l’attaquer ?

L’heure dont je parle est à coup sûr l’heure la plus heureuse de la vie du poète. Il n’est plus seul, il est compris. À mesure qu’il accomplit sa pensée, il entend résonner à son oreille des paroles d’encouragement et de bienveillance. Dans l’émotion qu’il lit sur un visage ami, il entrevoit l’enthousiasme populaire ; le présent, si modeste qu’il soit, est riche d’un avenir immense, indéfini. Forcé de s’expliquer à celui qui reçoit les premières confidences de son génie, amené sans effort et sans contrainte à dérouler devant lui tous les mystères de sa volonté, il arrive à se mieux comprendre lui-même. Dans l’intimité de ses épanchemens qui ne connaissent ni la honte ni l’embarras, n’ayant rien à cacher, rien à taire, ne rougissant pas de livrer sa pensée inachevée, il s’aperçoit, au moment même où il parle, de la faute où il allait tomber, il se corrige en se révélant, et souvent ne veut déjà plus ce qu’il annonce vouloir. Ce perpétuel contrôle qu’il exerce sur lui-même, cet enseignement familier auquel il se livre chaque jour à propos de son œuvre, donne à toutes ses idées une clarté singulière. Le mouvement de la conversation entraîne son intelligence au milieu de régions imprévues, et pose devant lui des problèmes sans cesse renaissans, que la création, réduite à l’emploi solitaire des facultés, n’aurait pu ni deviner ni résoudre. Il se fait alors en lui deux parts bien distinctes, l’une spontanée,