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la ruine des traditions qui l’embarrassent, ou qu’il ait été amené, par la pente insensible de sa rêverie, à désirer le renversement des préceptes qui obstruent sa route, il ne réussit pas du premier coup à conquérir la sympathie ou même seulement la curiosité. Bien que la solitude enivre comme le vin, bien que le dialogue assidu de l’homme avec sa pensée exalte parfois jusqu’à la folie l’intelligence imprévoyante, cependant le poète qui débute est forcé de se heurter contre la réalité. Il a beau dans sa fierté complaisante se bâtir un palais, et du haut de son trône imaginaire contempler ses vassaux futurs, il lui arrive souvent de se réveiller en sursaut, et de suivre d’un œil désolé ses illusions qui se dispersent comme les nuages sous le vent. Souvent il est saisi d’un désespoir profond ; il doute de lui-même et de l’avenir, il se demande si le vœu qu’il a formé n’est pas un vœu insensé, s’il n’a pas tenté l’impossible, s’il ne ferait pas mieux de rentrer dans les voies battues et frayées depuis long-temps. Il est pris de compassion en voyant l’intervalle qui le sépare de la foule ; il mesure d’un regard découragé le désert où il s’est enfermé, et malgré son admiration pour l’œuvre ignorée de son génie, il sent au dedans de lui-même un vague désir de popularité, un besoin de louange et d’applaudissement ; il commence à comprendre qu’il lui faut un auditoire, et que si personne ne vient à son secours, il est condamné à une éternelle obscurité. Dans ces heures douloureuses de défaillance, le poète ne songe pas à faire de l’égoïsme une arche inviolable et sacrée ; il est bien loin de croire que le monde lui appartienne, et que le doute, même bienveillant et poli, soit une impardonnable injure. Par un instinct de conservation qu’il oubliera plus tard, ou du moins qu’il ne voudra plus entendre, il descend des hauteurs solitaires de sa rêverie, et consent à discuter avec ses amis la valeur et la probabilité de ses opinions. Il dépouille l’orgueil impérieux qui l’avait emporté si loin de la réalité, il se fait simple et indulgent pour les objections, il accepte comme des conseils les argumens les plus vifs et même les plus hostiles, et il trouve dans cet échange familier de sentimens et d’idées la plus douce et la plus vraie des consolations. Peu à peu son âme se rassérène et s’apaise ; il respire plus librement, son regard s’assure et s’éclaircit ; il voit plus nettement, il apprécie avec une impartialité plus mûre tous les côtés de la question poétique. Il analyse