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lité réelle, et assurément M. Karr est du nombre, ont plus à perdre que les autres à la bizarrerie affectée.

Settimia, par Mme Hortense Allard, est un roman qui mérite mention à part, et qui assigne à l’auteur, parmi les femmes qui écrivent, un rang que l’amitié seulement jusqu’ici lui accordait. Settimia, selon nous, réalise en grande partie les espérances qu’il y a bien dix ans, Gertrude, début de Mme Allart, avait fait concevoir. Dans l’intervalle, l’auteur a publié successivement plusieurs romans ou même d’autres écrits plus sérieux, comme celui sur la Femme et la Démocratie. Dans tous ces ouvrages, Mme Allart avait fait preuve d’élévation et de pensée ; mais l’exécution, la couleur, la facilité et le charme laissaient beaucoup à désirer. L’auteur voulait souvent peindre la passion, et en atteignait çà et là des éclairs ; mais on pouvait croire que l’effort de la pensée y était au moins pour autant que la flamme du cœur. Il en est autrement de Settimia : il y a passion vraie, il y a élévation toujours, il y a enfin peinture. L’héroïne de Mme Allart est une Romaine ; l’auteur les aime ainsi. Ayant vécu de bonne heure dans cette ville de l’histoire et des souvenirs austères, tous ses rêves s’y reportent et s’y encadrent comme au ciel de la patrie. Settimia aime Marcel, jeune Français qui est allé passer une saison à Rome avec sa famille, avec sa mère malade ; la jeune fille a été élevée avec soin par son oncle l’abbé Véra, un de ces savans éclairés et passionnés, comme l’Italie en garde encore. Le mariage avec Marcel n’est pas possible aussitôt ; il est trop jeune, il n’a pas de carrière. La famille de Marcel, en retournant en France, veut le ramener ; il résiste. Rappelé plus tard par un protecteur de qui sa carrière peut dépendre, il hésite encore, puis cède et part. Tous ces combats de l’amour vrai et de l’ambition virile sont parfaitement peints, soit au cœur de Marcel, soit au cœur de Settimia. Settimia veut à la fois Marcel homme et grand par la pensée entre les autres hommes, et elle le veut esclave et faible à ses pieds ; elle lui dit par momens : « L’amour s’augmente des richesses de l’esprit, » et s’il manque un jour de venir à Albano, afin de rencontrer un savant français qui arrive à Rome, la voilà mourante et qui erre pâle et folle dans les campagnes. En regardant avec Marcel les plaines qui s’étendent à perte de vue sous le soleil couchant, elle lui demande s’il y saurait bien faire manœuvrer une armée ; et, s’il reçoit de Paris une lettre de rappel qui le rend distrait, elle veut rompre. Tout ce combat est rendu à merveille par l’auteur ; cette alliance de l’ambition et de l’amour dans les ames fortes a évidemment beaucoup occupé Mme Allart : comment concilier l’étendue et la curiosité de l’esprit avec l’ardeur sacrée du cœur ? les affaires, l’activité et la gloire, l’influence du moins, avec le règne intérieur de l’amour ? En croyant que l’avenir réserve une con-