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les individus ont des âges où se forment leur tempérament et leur caractère ; 1808 est pour la Péninsule une de ces époques décisives. C’est là qu’il faut saisir, au moment de leur fusion, les élémens divers de l’Espagne actuelle. L’ouvrage de M. Toreno suffit-il pour cela ? Nous en doutons. Cependant, c’est un précieux avantage que d’avoir l’histoire de ce grand fait politique tracée par un Espagnol, par un homme d’état, par un de ceux qui en furent témoins, et qui même jouèrent le premier rôle. Citoyen de la province où commença l’insurrection, M. Toreno, fort jeune encore, y prit une part active, suivant en cela l’exemple paternel. C’est lui, avec don Angel de la Vega, qui, député par les premiers insurgés des Asturies, alla chercher le secours de l’Angleterre. Plus tard il fut au nombre de ceux qui, par une démarche hardie, emportèrent la convocation des cortès, et, enfin, membre de cette assemblée, on l’y vit déployer cette première ferveur de patriotisme qu’aucune déception n’a encore attiédie. Son témoignage n’est donc pas sans autorité. D’ailleurs, cette histoire porte l’empreinte d’un travail consciencieux. On voit que l’auteur a puisé aux meilleures sources, consulté les documens originaux, recueilli des renseignemens curieux et précis. Ainsi, parfaitement informé, il nous fait pénétrer dans le détail des intrigues de cour qui se terminèrent si misérablement par l’abdication de Bayonne ; il nous initie au secret des négociations ambitieuses des divers princes qui voulaient exploiter la situation de la Péninsule. Une des circonstances de ce genre les plus singulières, ce sont les ouvertures faites au gouvernement de Cadix, au nom de Joseph Bonaparte, par le chanoine La Pena. Trop honnête homme pour ne pas souffrir de la situation fausse que lui avait faite l’ambition de son frère, n’ayant pas l’héroïsme d’abnégation nécessaire pour se dévouer sans réserve à ses desseins, ou pour s’affranchir au prix d’une couronne, Joseph aurait fait cause commune avec les cortès, si elles l’avaient voulu reconnaître pour roi. Il offrait de s’abandonner à leur direction. Le refus péremptoire de la régence lui épargna ce qui aurait pu être considéré comme une lâcheté, et aucune communication officielle ne fut faite à l’assemblée nationale.

M. Toreno n’est pas moins complet dans l’exposition des travaux législatifs de ces cortès, qui fondèrent des institutions à la portée des batteries françaises, et dans le récit des progrès et des luttes de la révolution. L’insurrection surtout, si spontanée, si universelle, si audacieuse, est retracée au vif et comme par un homme qui l’a vue. C’est la partie de l’ouvrage qui offre le plus d’intérêt et d’instruction.

Après tous ces travaux pleins d’une science qu’on n’obtient jamais sans quelque fatigue, on est heureux de pouvoir mentionner un de ces rares