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nal, par le chirurgien français Henri de Mandeville. Tels sont les élémens d’étude offerts aux contemporains de Charles V. Il y a loin de là aux millions de volumes répartis aujourd’hui dans les dix bibliothèques parisiennes.

Histoire des pays étrangers. — Nous rappellerons d’abord l’Histoire de l’empire ottoman, par M. de Hammer. La seconde livraison[1] commence à l’installation des vainqueurs dans la ville de Constantin, et embrasse les règnes de Mohammed-le-Grand, de Bajézid II et de Sélim Ier. On voit ces princes éprouver ce qui arrive d’ordinaire aux conquérans. Leurs succès sèment autour d’eux la jalousie et l’inquiétude. On les harcèle par de continuelles agressions ; on traverse leurs desseins, on épie l’instant de la fatigue pour les anéantir. Ces manœuvres les forcent à élargir sans cesse le sol envahi, afin d’y bâtir plus solidement, et une conquête nouvelle n’est souvent qu’un acte obligé de défense. Enfermés dans un cercle d’ennemis, les premiers sultans font face de tous côtés, et la victoire étend leur empire en tous sens. À la mort de Sélim, moins de soixante-dix ans après la prise de Constantinople, la domination ottomane est établie en Europe sur la Servie, la Bosnie, la Valachie, l’Albanie, le Péloponèse, les îles de l’Archipel. En Asie, elle s’étend jusqu’au cœur de la Perse. La Mésopotamie et l’Égypte sont enlevées aux sultans mamloucks, avec le protectorat des villes saintes, la Mecque et Médine, c’est-à-dire avec un droit de suzeraineté sur l’Arabie et la suprématie sur tous les peuples qui professent le mahométisme. Déjà les nations chrétiennes comptent plus de vingt invasions en Italie, dans les états autrichiens, en Hongrie et en Pologne.

Les guerres acharnées, les dévastations, les massacres, les supplices atroces qui ont rempli cette époque trop peu connue, donnent aux pages de M. de Hammer une couleur sombre, un intérêt soutenu, mais douloureux. La conduite des sultans à l’égard des puissances chrétiennes, dont l’auteur a trouvé le secret dans les historiens orientaux, a pour nous le prix d’une révélation. Ces chefs farouches, qu’on dirait emportés par l’instinct de la destruction, montrent néanmoins, quand leur intérêt l’exige, la perfide réserve des politiques achevés. Le mépris des infidèles qu’ils affectent n’est qu’une ruse pour les épier à couvert. Ils savent fort bien démêler parmi eux les moindres germes de mésintelligence, et suivant le brutal axiome de leur diplomatie, susciter les porcs contre les chiens, et les chiens contre les porcs.

En lisant l’histoire asiatique, on se demande souvent comment ces hordes conquérantes, qui se jettent étourdiment au sein d’une population

  1. Tomes 3 et 4, plus 6 feuilles d’un très bel atlas. Bellizard, rue de Verneuil, 1.