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core sans solution. N’est-il pas évident que, lorsque les conciles admettaient une opinion et rejetaient l’autre, ils obéissaient à une politique qu’il serait important de connaître, et qu’on parviendrait peut-être à démêler avec de la sagacité et de la pénétration philosophique ? Trop souvent les jugemens sont appuyés sur des faits tronqués et des citations sans autorité. Par exemple, pour contester la part du christianisme à l’émancipation de la femme, on cite l’incident soulevé au second concile de Mâcon par un évêque, qui déclare que la femme ne devait pas être comprise sous le terme générique homme. Il était bon d’ajouter que cet évêque fut aussitôt réduit au silence, et que les actes du concile n’ont pas même fait mention d’une boutade rapportée seulement par Grégoire de Tours. Rien de plus injuste que le chapitre consacré à l’exposition de la morale des Pères. Les exemples de niaiserie qu’on y rassemble n’ont jamais été l’expression du corps entier. Nous croirons que les Pères interdisaient aux chrétiens l’étude de la grammaire quand on aura prouvé qu’ils étaient eux-mêmes illettrés pour leur temps. Il suffit d’un peu de patience pour trouver quelques assertions erronées, quelques phrases ridicules, dans la masse énorme de volumes qu’ont produits ces grands hommes : mais il faudrait de la science vraie et un esprit élevé pour dominer leur doctrine et en saisir l’aspect général.

Le principal intérêt de l’histoire de l’église consiste dans cette multitude de citations, de notes et d’appendices qui la surchargent. Ce lourd bagage d’érudition n’appartient pas en toute propriété à M. de Potter. Les vingt années qu’il a employées en recherches n’auraient pas suffi pour épuiser la moitié des textes qu’il invoque. Il a dû profiter des immenses travaux de critique entrepris par les premiers réformés, dans le but d’éclairer les origines chrétiennes, et poussés dans une autre direction par l’école philosophique du dernier siècle. En résumé, ce livre peut devenir utile par l’indication de beaucoup de sources dont la trace est généralement perdue ; mais il arrive trop tard, selon nous. Son succès eût été certain il y a dix ans, sous le règne du vieux libéralisme. C’est que le vrai libéral, celui de la restauration, n’était pas un fiévreux comme nous autres, qui, sous prétexte d’indépendance, creusons les faits, pesons les témoignages, éloignons de nous, autant que possible, les préventions mesquines. Il possédait une somme d’idées fixes qu’on avait greffées sur lui et qui végétaient avec lui. Il pratiquait la tolérance, suivant la loi du patriarche de Ferney, et, à l’exception de trois grandes classes, il eût ôté son chapeau à tout le genre humain. Ces classes, on les connaît : les tyrans jusqu’aux commissaires, ceux qui sont assez naïfs pour se dire nobles, ou assez tonsurés pour s’estimer prêtres. On a dit que le libéral n’existe plus aujourd’hui, et que l’espèce entière a disparu dans le grand cataclysme