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tement la volumineuse histoire, raconte naïvement que Simon-le-Magicien s’est élevé en l’air soutenu par les démons. S’il se permet un doute sur la résurrection d’une jeune fille par le philosophe Apollonius de Tyane, il dit en toute confiance, d’après Flavius Josèphe, que l’an onzième de Néron, une vache destinée au sacrifice mit bas un agneau dans le temple de Jérusalem, et que le peuple assemblé tira de là le présage de sa ruine prochaine. D’un autre côté, les écrivains critiques ne donnent pas meilleure raison des conquêtes du christianisme. Ils les attribuent uniquement à la supériorité de sa morale. Mais déjà plusieurs écoles avaient atteint les sublimités de la théorie. Les Pères de l’église le reconnaissent volontiers, et Lactance ajoute : Sed defendere id quod invenerant nequiverunt, nec ea quæ vera senserant, in summam redigere potuerunt, sicut nos fecimus. » Il est de fait encore que tous les révolutionnaires modernes, depuis les Vaudois jusqu’aux Jacobins, ont fait sonner les mots de liberté et de fraternité, sans fonder pour cela un nouvel ordre social. C’est qu’il ne suffit pas de prêcher le dévouement pour déterminer les riches à faire bourse commune avec les pauvres, et nous persistons à croire qu’il y a quelque chose d’inexpliqué jusqu’à présent dans l’action irrésistible des promoteurs du christianisme. M. de Potter a entrevu ces difficultés, mais confusément et sans chercher à les résoudre. — « Malgré l’instinct moral ineffaçable dans l’homme (dit-il, page cxxxiii), la doctrine sociale de Jésus aurait fait peu de progrès dans le peuple, si elle avait été présentée sans les dogmes destinés à remplacer les religions dont on dépouillait le monde. » — Il fallait en effet que le dogme chrétien eût un sens, une énergie incontestable, pour prévaloir contre les croyances établies, et les hérésies qui lui ont opposé constamment d’autres vues dogmatiques. Ce raisonnement une fois admis, il devenait naturel d’étudier le dogme, et d’en établir rigoureusement la valeur civilisatrice. Au contraire, le nouvel historien le flétrit sans examen, et le traite, en vingt passages, de jonglerie, d’appât grossier jeté aux imaginations populaires. Mais pourquoi M. de Potter se fût-il imposé la lourde tâche de pénétrer les mystères, de ramener à un sens positif les langues symboliques créées par le génie sacerdotal ? Il n’y aura plus de dogme dans le christianisme régénéré qu’il propose. Écoutons son évangile (page xliii) : — « Qu’on croie ou non à la Trinité, à la résurrection de Jésus, à son existence même, à la chute ou à la rédemption de l’humanité, à telle ou telle nature de l’ame humaine, on n’en sera ni plus ni moins social, ni plus ni moins religieux, tout comme si on croit ou ne croit pas aux incarnations de Vishnou, et à la métempsycose, aux émanations du panthéisme et de la kabbale, aux aventures de Jupiter, au paradis de Mahomet ou à celui d’Odin. » M. de Potter daigne emprunter au christianisme ce qu’il appelle l’élé-