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personne n’a jamais contestée, s’adressant aux individus qu’ils trouvent d’humeur à les écouter, c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas besoin d’être convertis. Mais sonder la valeur morale des institutions, s’enquérir du sort des masses, et des chances qu’elles ont de faire le bien ou le mal, c’est dérober ce qui est dû à César. César est toujours celui qui perçoit le budget. Telles sont les maximes professées hautement par le clergé, qui l’ont engourdi dans l’indifférence de tout ce qui se passe autour de lui, et le laissent impuissant, séparé par ses habitudes, ses idées, et même par son langage, d’une société qu’il ne comprend pas plus qu’il n’en peut être compris.

Et maintenant, nous nous adressons aux intelligences que le mysticisme n’a pas obscurcies. Si le christianisme a transformé le monde ancien, ce qu’on ne saurait nier raisonnablement, s’il a construit, avec les débris qui jonchaient le sol de l’Europe, cette civilisation qui nous abrite encore, est-ce donc en prêchant l’immobilité, en se faisant un mérite, aux yeux des puissances, de sa neutralité absolue ?

L’opposition, ou plutôt une sorte d’animosité contre ceux qui entreprennent de rendre au vieux corps catholique quelque peu de son énergie virile, se manifeste journellement par des réfutations. L’une des plus curieuses est la Censure de cinquante-six propositions, extraites de divers écrits de M. de La Mennais et de ses disciples, promulguée par l’archevêque de Toulouse, avec la sanction du pape et l’adhésion de presque tous les membres de l’épiscopat français. Les propositions condamnées ne sont pas des hérésies, à proprement parler. Elles ne blessent aucunement le dogme. Il s’agit de quelques opinions hasardées sur les fondemens rationnels de la certitude, sur la loi morale des époques antérieures au christianisme, et sur le développement temporel du principe chrétien. Elles nous paraissent appeler une controverse sur quelques points d’histoire et de philosophie, plutôt qu’une réprobation canonique, et en tout cas il ne suffit plus aujourd’hui, pour entraîner les esprits, de clore une discussion en disant, comme souvent les docteurs révérendissimes ; Hœc doctrina est falsa, temeraria, scandalosa, seditiosa, rebellis et injuriosa. Nous croyons encore qu’il est injuste de déchirer une page pour isoler une phrase qui prend ainsi un sens absolu, tandis qu’elle se trouverait expliquée et adoucie par ce qui la précède et la suit.

On s’étonne de rencontrer au nombre des propositions frappées par les foudres de l’église, cette thèse soutenue dans l’Avenir, par les disciples de M. de La Mennais, que le catholicisme est conciliable avec toutes les libertés publiques. Les fragmens qui réclament la liberté de la presse sont particulièrement incriminés. Le poète croyant est rendu responsable de tous ces méfaits ; son censeur le traite d’anarchiste et crie victoire