Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/570

Cette page a été validée par deux contributeurs.
566
REVUE DES DEUX MONDES.

toujours fort entreprenant. Mais les illusions qui ont donné naissance à de nombreuses tentatives sont déjà expiées en grande partie. Chaque semaine a vu éclore environ trois feuilles nouvelles. Plusieurs n’ont vécu que comme prospectus, et, faute d’alimens, en sont restées à l’état embryonnaire. Beaucoup d’autres ont succombé après une courte apparition, et si quelques-unes soutiennent encore leur existence problématique, elles demeurent bien éloignées sans doute d’une position stable et régulière. Sans entrer dans la discussion du budget d’autrui, qu’il nous soit permis d’établir un fait social autant que littéraire : à savoir, que le journalisme qui, chez nous, est né d’hier, en est encore aux rêves dorés des premiers débuts, qu’il se passera peut-être bien du temps avant que les entrepreneurs apprennent, ou pour mieux dire, avant que les actionnaires aient appris, grâce à ceux-ci, que les calculs de probabilités commerciales ne sont pas applicables aux produits de la presse ; qu’il faut plus que du savoir-faire pour découvrir un domaine exploitable dans la sphère infinie des opinions et des idées ; que d’ailleurs une rédaction ne s’improvise pas plus qu’un public, et que la force intellectuelle qui anime un journal n’est pas à la disposition des hommes d’affaires comme la force aveugle que livre la vapeur.

Revenons à la librairie qui doit seule nous occuper. Il n’y a pas de variations dans tout ce qui tient à l’enseignement scolastique, où la composition du livre ne change pas plus que les chances de débit. Mais un fait assez remarquable est que les œuvres d’imagination, les livres de cabinet de lecture, ou, pour employer le mot usité dans le commerce, les nouveautés, atteignent positivement le chiffre élevé de l’année dernière. On compte encore pour les romans plus d’un volume par jour, et la valeur de deux volumes par semaine en poésies, que repousse cependant l’instinct des éditeurs ; ce qui prouve que la plus grande partie des spéculations de la presse se trame en dehors de la librairie, que les frais en sont faits par la vanité oisive ou par l’inexpérience des débutans, qui se condamnent à de rudes sacrifices pour conquérir un public et une position.

La diminution que nous avons annoncée porte principalement sur les livres sérieux, les sciences métaphysiques, la littérature classique, l’histoire. Ce fait n’est point en contradiction avec ce que nous avons dit plus haut. La liste est moins nombreuse ; mais on y trouve plus de productions estimables. La conséquence est naturelle. Il n’en est pas des œuvres rationnelles comme des créations poétiques ou dramatiques, dont la valeur est toujours contestable, et qui permettent au plus obscur d’espérer les caprices de la vogue. Les recherches profondes, les travaux solides et avancés désespèrent la paresse, et écartent les rivalités impuissantes. Au reste, nous nous promettons de préciser par des chiffres, à la