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MANUSCRIT DE SANCHUNIATHON.
tèrent les louanges et l’intrépidité de Mélicerte, et l’accueillirent avec joie.
Ainsi Mélicerte avait enfin atteint le but qu’il se proposait depuis long-temps. « Il fut le premier qui parvint aux bornes de la terre. Avant tous les Sidoniens et tous les Tyriens il pénétra sur les plaines désertes de l’Océan. Aussi reçut-il la récompense qui lui était promise. Aux yeux des habitans, race grossière et sauvage, tout dans les étrangers était un sujet d’admiration, leur navire, leur costume, leurs ustensiles. Ils vivaient de pêche et de chasse, et avaient, il est vrai, des barques, mais très petites et très grossièrement construites. Ils ne portaient pas non plus de vêtemens, et se couvraient de peaux de bêtes, car ils ne connaissaient ni l’art du tisserand ni aucun autre art. Tous leurs meubles étaient d’un travail grossier et d’une simplicité extrême. Les étrangers, au contraire, avaient un grand vaisseau, de beaux vêtemens, des meubles pleins d’élégance. À ces différentes circonstances, et surtout aux grandes choses qu’il avait accomplies, ils reconnurent que Mélicerte était un dieu. Ils regardèrent aussi ses compagnons comme des dieux, mais comme des dieux inférieurs.
Ensuite Sanchuniathon raconte l’érection des deux colonnes par Mélicerte, son règne à Tartessus et son apothéose. Sur l’une et l’autre rive du détroit, il y avait une montagne au haut de laquelle il éleva une colonne. Ces deux colonnes, on les voit encore aujourd’hui, et elles doivent leur nom à Mélicerte. — Personne n’ignore que la légende de l’Hercule grec s’est approprié cette expédition, mais comme dans les temps, bien postérieurs, où les Grecs osèrent aussi se hasarder dans cette contrée, les anciennes colonnes de Mélicerte avaient disparu depuis long-temps, l’Hercule grec éleva les montagnes de Gibraltar et de Ceuta, comme monument de ses exploits, et depuis lors on n’a pas cessé de les appeler les colonnes d’Hercule.
Mélicerte s’établit dans cette contrée et s’efforça d’initier les habitans à la civilisation de l’Orient. Avant tout il bâtit une citadelle et une ville. Les Tartessiens reconnaissans lui élevèrent des temples dans la ville et dans les contrées environnantes, où ses images, d’argent pur, étaient l’objet d’un culte religieux. Un jour, enfin, qu’il était parti sans suite pour la chasse, il ne revint pas, et l’on ne put jamais retrouver ni son corps, ni son tombeau ; car, d’après les opinions de l’ancien Orient, le tombeau des hommes qui, comme Mélicerte, ont été admis dans le commerce de la divinité, reste toujours inconnu. C’est ainsi que jamais personne n’a vu le tombeau de Moïse. (Deuteron. xxxiv, 6.) Après la disparition de Mélicerte, ceux de ces compagnons qui lui avaient survécu, résolurent de faire connaître à leur patrie les résultats de leur expédition,