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MANUSCRIT DE SANCHUNIATHON.
une grande détresse. Mais l’avare et inhospitalier Obybacros[1] auquel appartenaient ces troupeaux, refusa d’accéder à sa prière, et Mélicerte se vit contraint de recourir à la violence pour l’éloigner. Pendant ce temps ses compagnons emmenèrent tranquillement les bestiaux dont ils avaient besoin, et accablèrent de leurs railleries Obybacros, qui de loin exhalait sa fureur en horribles injures.
Il est inutile de faire ressortir la conformité parfaite qu’offre avec cette tradition celle où les Grecs racontent l’enlèvement des bœufs de Géryon par Hercule. Cette dernière a pris évidemment naissance chez les Phéniciens, et les Grecs n’ont fait que l’embellir en l’attribuant à leur Hercule[2]. Du reste, les Phéniciens et les Grecs sont d’accord sur le lieu de la scène, que les uns et les autres placent dans les îles Baléares. Ainsi, Mélicerte était parvenu près des côtes de l’Espagne.
Parti de ces lieux, il fit naufrage sur les côtes d’une île voisine. Cette île était couverte de forêts, et comme Mélicerte se trouvait malade, personne n’osa pénétrer dans ces bois épais pour y chasser ; car tous étaient effrayés par les sons terribles qui partaient de ces lieux, semblables aux rugissemens d’un lion redoutable. Ils se virent donc réduits aux coquillages et aux poissons dont le port était pourvu en abondance.
Témoin de la frayeur de ses compagnons, Mélicerte sentit se ranimer son ardeur chevaleresque, et ne trouvant personne qui voulût l’accompagner, tout malade qu’il était, il s’aventura seul au milieu de la forêt. Bientôt il aperçut, au milieu du taillis le plus touffu, une femme d’une grande beauté qui était endormie. Au bruit des pas du héros elle se réveille et lui ordonne de s’approcher. Il obéit, mais, ô prodige ! les jambes de cette femme se terminent en queue de serpent. Mélicerte, qui ne connaît pas la crainte, s’avance intrépidement pour connaître sa volonté. Elle lui annonce qu’elle est l’une des servantes de Léiathana[3], la reine des serpens, et l’invite à la suivre auprès d’elle. Mélicerte y consent, et trouve dans une caverne la reine entourée de ses suivantes, qui, toutes, sont semblables à elle. La reine lui apprend qu’elle a été chassée de ses états par Masisabas[4] qui la retient en ces lieux par ses enchantemens (ἐπῳδαὶς). Mais, ajoute-t-elle, je t’ai choisi pour me venger, car je vois que tu es un homme de cœur. Va donc ! tu le rencontreras à Tartessus, aux bornes du monde, et quand tu l’auras abattu sous tes coups, tu trouveras pour
  1. En hébreu Abi bakar, le père du bétail. W.
  2. Cependant Justin (xliv, 4, 15) dit qu’Hercule est originaire d’Asie. Herculem ex Asia. W.
  3. En hébreu Livyathan, recourbé, sinueux. Expression employée en parlant des monstres d’une grande dimension, et notamment des crocodiles et des serpens. W.
  4. Ou Masisabal, le trait (massa) de Baal. W.