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bileté et de savoir, qu’il peut tromper l’œil le plus exercé. Comment penser qu’un jeune homme qui vient à peine de quitter les bancs de l’université ait déjà acquis assez de science pour faire revivre un ancien peuple dans une histoire suivie et probable ? Comment croire surtout que, pour satisfaire une fantaisie aussi bizarre qu’inexplicable, ce jeune homme, dès son début, compromette tout son avenir, et s’expose à jamais au mépris de ses concitoyens ? Tout autre savant que M. Grotefend, qui, sans connaître le caractère du jeune étudiant, eût reçu la communication de son livre, se serait passionné pour la découverte ; car, je le répète, rien de plus vraisemblable que tout ce récit. Nous en ferons juge le public en mettant sous ses yeux quelques extraits de cette brochure, qui méritera toujours d’être regardée comme une production aussi curieuse qu’intéressante, quelle que doive être, en définitive, l’opinion à laquelle on s’arrêtera sur le compte de son auteur.

Nous commencerons par l’histoire mythique de Mélicerte ou Melkart, l’Hercule tyrien (liv.  ii, chap. 9-15).


Ce mythe est raconté fort au long d’après les chants sacrés que Sanchuniathon entendit à Tyr, dans son enfance, et dont le sens merveilleux devait avoir fait une forte impression sur son esprit. L’idée renfermée dans ce mythe, c’est qu’on ne peut s’élever à la divinité qu’en poursuivant un grand et noble but à travers tous les dangers, et en surmontant toutes les fatigues. Mélicerte se propose un but éloigné de l’autre côté de la mer orageuse, au bout de la terre (cap. 10). Ce but est digne d’un dieu : celui qui l’atteindra, s’élèvera vers la divinité. — Mélicerte arrive en effet à Tartessus ; ses contemporains étonnés lui élèvent des temples et des autels, et l’invoquent à l’égal de Kronos et des autres dieux. Du reste il est incontestable que ce mythe renferme aussi plusieurs souvenirs historiques, comme par exemple la notion d’une grande quantité de métaux précieux en Espagne.
L’auteur commence par nous raconter une aventure amoureuse de la jeunesse de Mélicerte, et la fin tragique de cet amour. Les fils de Démaroon, Mélicerte et Isroas, après une expédition contre les géans, se disputèrent, en partageant le butin fait sur l’ennemi, la possession de Déisone[1], jeune fille des montagnes, d’une rare beauté, dont Isroas s’était emparé. Mélicerte propose de s’en remettre au choix de la jeune
  1. En hébreu Dechen, fertilité. W.