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cèrement repenti, parce qu’on est assez injuste pour excuser sa faiblesse et pour aimer ce qui en a été cause. »

Un an avant de mourir, Mme de La Fayette écrivait à Mme de Sévigné un petit billet qui exprime son mal sans repos nuit et jour, sa résignation à Dieu, et qui finit par ces mots : « Croyez, ma très chère, que vous êtes la personne du monde que j’ai le plus véritablement aimée. » L’autre affection qu’elle ne nommait plus, qu’elle ne comptait plus, était-elle donc enfin ensevelie, consumée en sacrifice ?

Tout concorde jusqu’au bout, et tout s’achève : Mme de Sévigné écrit à Mme de Guitaud, le 3 juin 1693, deux ou trois jours après le jour funeste, et déplore la mort de cette amie de quarante ans : « … Ses infirmités, depuis deux ans, étaient devenues extrêmes ; je la défendais toujours, car on disait qu’elle était folle de ne vouloir point sortir. Elle avait une tristesse mortelle : Quelle folie encore ! n’est-elle pas la plus heureuse femme du monde ? Mais je disais à ces personnes si précipitées dans leurs jugemens : Mme de La Fayette n’est pas folle, et je m’en tenais là. Hélas ! madame, la pauvre femme n’est présentement que trop justifiée… Elle avait deux polypes dans le cœur, et la pointe du cœur flétrie. N’était-ce pas assez pour avoir ces désolations dont elle se plaignait ?… Elle a eu raison pendant sa vie, elle a eu raison après sa mort, et jamais elle n’a été sans cette divine raison, qui était sa qualité principale… Elle n’a eu aucune connaissance pendant les quatre jours qu’elle a été malade… Pour notre consolation, Dieu lui a fait une grâce toute particulière, et qui marque une vraie prédestination, c’est qu’elle se confessa le jour de la petite Fête-Dieu, avec une exactitude et un sentiment qui ne pouvaient venir que de lui, et reçut notre Seigneur de la même manière. Ainsi, ma chère madame, nous regardons cette communion, qu’elle avait accoutumé de faire à la Pentecôte, comme une miséricorde de Dieu, qui nous voulait consoler de ce qu’elle n’a pas été en état de recevoir le viatique. » — Ainsi mourut et vécut, dans un mélange de douceur triste et de vive souffrance, de sagesse selon le monde et de repentir devant Dieu, celle dont une idéale production nous enchante ! Que peut-on ajouter de plus comme matière de réflexion et d’enseignement ? La lettre à Mme de Sablé, la Princesse de Clèves, et la lettre de Duguet, n’est-ce pas toute une vie ?


Sainte-Beuve.