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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

affaires. Elle s’entendait bien aux procès, et l’empêcha de perdre le plus beau de ses biens en lui fournissant les moyens de prouver qu’ils étaient substitués. On conçoit avec cela qu’elle écrivait peu de lettres, et seulement pour le nécessaire. C’était son seul coin orageux avec Mme de Sévigné. Le petit nombre de lettres de Mme de La Fayette sont presque toutes pour dire qu’elle ne dira que deux mots, qu’elle dirait plus si elle n’avait la migraine. On voit même reparaître un jour M. de La Fayette en personne, qui arrive tout exprès je ne sais d’où, comme motif d’excuse. Il suffit de lire la jolie lettre : Hé bien ! hé bien ! ma belle, qu’avez-vous à crier comme un aigle ? etc., etc., pour bien connaître le train de vie de Mme de La Fayette et saisir sa différence de ton d’avec Mme de Sévigné. On y lit ces mots souvent cités : « Vous êtes en Provence, ma belle ; vos heures sont libres et votre tête encore plus ; le goût d’écrire vous dure encore pour tout le monde ; il m’est passé pour tout le monde ; et si j’avais un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprais avec lui. »

Mme de La Fayette était très vraie et très franche ; il fallait la croire sur parole[1] : « Elle n’aurait pas donné le moindre titre à qui que ce fût, si elle n’eût été persuadée qu’il le méritait ; et c’est ce qui a fait dire à quelqu’un qu’elle était sèche, quoiqu’elle fût délicate[2]. » Mme de Maintenon, avec qui Mme de La Fayette avait eu liaison étroite, était d’un esprit aussi merveilleusement droit, mais d’un caractère moins franc ; aussi judicieuse, mais moins vraie ; et cette différence dut contribuer à leur refroidissement. En 1672, quand Mme Scarron élevait en secret les bâtards de Louis XIV, au bout du faubourg Saint-Germain, près de Vaugirard, bien au-delà de la maison de Mme de La Fayette, celle-ci était encore en liaison particulière avec elle ; elle recevait quelquefois de ses nouvelles ainsi que Mme de Coulanges ; elles durent même la visiter ensemble. Mais la confidence de Mme Scarron se resserrant par degrés, il en résulta de ces paroles rapportées et de ces conjectures qui déplaisent entre amis : « L’idée d’entrer en religion ne m’est jamais venue dans l’esprit, écrivait Mme de Maintenon à l’abbé Testu ; rassurez donc Mme de La Fayette. » Donnant à son frère des leçons d’économie, Mme de Maintenon écrivait en 1678 : « J’aurais

  1. Mme de Sévigné.
  2. Segraisiana.