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d’ordinaire les grandes passions. » Madame mourut dans les bras de Mme de La Fayette, qui ne la quitta pas à ses derniers momens. Le récit qu’elle a fait de cette mort, égale les beaux récits qu’on a des morts les plus touchantes ; il s’y trouve en chemin de ces mots simples et qui éclairent toute une scène : «… Je montai chez elle. Elle me dit qu’elle était chagrine, et la mauvaise humeur dont elle parlait aurait fait les belles heures des autres femmes, tant elle avait de douceur naturelle et tant elle était peu capable d’aigreur et de colère… Après le dîner elle se coucha sur des carreaux… ; elle m’avait fait mettre auprès d’elle, en sorte que sa tête était quasi sur moi… Pendant son sommeil elle changea si considérablement, qu’après l’avoir long-temps regardée j’en fus surprise, et je pensai qu’il fallait que son esprit contribuât fort à parer son visage… ; j’avais tort néanmoins de faire cette réflexion, car je l’avais vue dormir plusieurs fois, et je ne l’avais pas vue moins aimable… Monsieur était devant son lit ; elle l’embrassa, et lui dit avec une douceur et un air capable d’attendrir les cœurs les plus barbares : Hélas ! Monsieur, vous ne m’aimez plus, il y a long-temps ; mais cela est injuste ; je ne vous ai jamais manqué. Monsieur parut fort touché, et tout ce qui était dans la chambre l’était tellement, qu’on n’entendait plus que le bruit que font des personnes qui pleurent… Lorsque le roi fut sorti de la chambre, j’étais auprès de son lit ; elle me dit : Madame de La Fayette, mon nez s’est déjà retiré. Je ne lui répondis qu’avec des larmes… Cependant elle diminuait toujours… » Le 30 juin 1673, Mme de La Fayette écrivait à Mme de Sévigné : « Il y a aujourd’hui trois ans que je vis mourir Madame : je relus hier plusieurs de ses lettres ; je suis toute pleine d’elle. »

Au milieu de ce monde galant et brillant, durant dix années, Mme de La Fayette jeune encore, avec de la noblesse et de l’agrément de visage, sinon de la beauté, n’était-elle donc qu’observatrice et attentive, sans intérêt actif de cœur, autre que son attachement pour Madame, sans choix singulier et secret ? Vers l’année 1665, comme je conjecture, et comme je l’expliquerai plus bas, elle avait choisi hors de ce tourbillon pour ami de cœur M. de La Rochefoucauld, âgé déjà de cinquante-deux ans.

Elle écrivit de bonne heure par goût, mais avec sobriété toujours. C’était le temps des portraits : Mme de La Fayette, vers 1659,