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GABRIEL NAUDÉ.

en tout, elle finit dans l’ascétisme les scènes tumultueuses de sa vie. Mme de Longueville disait d’elle : « On doit espérer qu’elle sera une saincte, aussi bien qu’une héroïne. » Avant qu’elle eût abdiqué le sceptre royal pour la science, elle exerça sur la littérature une influence immense, qu’il serait peut-être assez curieux de caractériser. Toutes les illustrations intellectuelles se rendaient à sa cour, et Naudé n’hésita point, quand on lui proposa la bibliothèque de Stockholm. Il paraît, par une de ses lettres, que le classement des livres lui demandait beaucoup de temps, et qu’il eût volontiers répondu à ceux qui venaient le troubler, comme Cujas, lorsqu’on lui parlait de matières n’ayant pas trait au droit : Non attinet ad edictum prœtoris. Mais le séjour de Naudé à la cour de Christine ne fut pas long. Les folies du premier médecin Bourdelet ayant forcé la plupart des Français à se retirer, Naudé ne voulut pas rester seul, et demanda l’année suivante son congé, malgré les instances de la reine. Guy-Patin, qui se sentait privé de la présence d’un ami qui lui était devenu nécessaire, écrivait à cette occasion : « À quelque chose malheur est bon ; j’aime mieux qu’il soit ici ; tout le Nord ne vaut pas ce grand personnage. » Naudé reprit donc le chemin de la France, mais Guy-Patin ne devait plus le revoir, car il fut saisi, à son passage à Abbeville, d’une fièvre continue avec assoupissement qui l’enleva le 29 juillet 1653. Son corps fut présenté à l’église Saint-George et inhumé dans la nef. Ainsi mourut l’homme le plus remarquable peut-être de ces érudits littéraires de la famille de Dupuy, de Lamonnoye, de Sainte-Marthe, de Ménage et de Leduchat, dont la race est à peu près perdue de notre temps. Gassendi pleura beaucoup cet ami si complaisant, si sage, si respecté, qu’on consultait toujours pour les publications littéraires. Malgré ces regrets, il faut que la mémoire de Naudé ait, en ce temps même, été calomniée par l’envie ; on trouve ce passage dans les lettres de Guy-Patin à Spon : « Il n’y a pas encore de bibliothécaire de Mazarin. C’est un nommé Poterie, qui y servait sous feu M. Naudé, mais qui ne l’espère pas. C’est un fripon qui a rendu de très mauvais services à notre bon ami, après sa mort, ou au moins qui a tâché. Mais l’innocence de sa vie et de ses mœurs l’a jusqu’à présent très bien défendu des calomnies de ce pendard. » Sans doute les clameurs de la haine se turent bientôt, car la justice commence pour les hommes lorsque la tombe les recouvre.


Charles Labitte