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cher de celui de Mazarin. Écrivant plus tard, il n’eût pas manqué de parler de l’araignée de Pélisson, et de Crébillon fumant au milieu de ses chats et de ses chiens. Lorsqu’il s’agit des fautes de Mazarin, Naudé glisse adroitement vers un autre sujet, ou bien, comme à propos d’une défaite, il dit que c’est une pierre qui rencontra la faux, une épine au milieu d’un faisceau de lauriers, une ronce dans une gerbe dorée. Il y a d’ailleurs dans le Mascurat une grande liberté de pensée. On sent que la férule romaine ne menace plus sa main, et qu’il foule une terre où les pas de la liberté laissent leur empreinte. Tout le monde, à son sens, doit pouvoir parvenir à la puissance, et comme il le dit crûment, tel peut souper cardinal qui n’avait dîné que d’un plat de tripes. Les bonnes plaisanteries et les portraits piquans ne manquent pas non plus dans le Mascurat. Il y en a même qui n’ont pas vieilli : ceci, par exemple : « Le naturel du François est si inquiet, si insolent, si ambitieux, si entreprenant et si insatiable, que soudain qu’il a donné un coup de bonnet aux ministres, incontinent après qu’il leur a parlé, qu’il leur a dit ou fait dire qu’il étoit leur serviteur, il en veut estre payé, il veut qu’on lui donne tout ce qu’il demande, qu’on augmente ses pensions, qu’on fasse estat de ses recommandations ; en un mot, il est capable d’épuiser en un jour toutes les grâces que la cour peut faire en un an. » Ce côté ironique et quelquefois sentencieux, qu’on trouve pour la première fois dans le caractère de Naudé, marque chez lui une nouvelle phase ; il est un peu dégoûté du monde, et il sait la vie. Ni la nature avec son luxe de végétation, ni les passions du cœur avec leurs molles et fondantes extases, ni l’ambition avec ses rêves avides, ne peuvent plus le séduire dorénavant ; en fait de plaisirs, il s’est arrêté à des jouissances plus sûres et moins trompeuses, aux sévères jouissances de l’intelligence.

Quant à sa manière de procéder, en fait de style, elle est la même dans le Mascurat que dans ses autres écrits ; les citations, mieux choisies ici, mais aussi nombreuses et prises avec affectation dans des auteurs peu connus, envahissent souvent le texte, et se succèdent les unes aux autres, et les unes par les autres, presque au hasard, sans goût et sans méthode. Naudé avait déjà dit autre part : « J’ay bigarré mon langage de quelques sentences et authoritez latines sans les habiller à la françoise, puisqu’elles n’ont aucun besoin d’être entendues de la populace. » Dans le Mascurat il est moins fanfaron, et on voit que l’Académie et l’hôtel Rambouillet avaient dû se moquer de cet étalage de citations, de même que le petit comité philosophique de Gentilly riait en soupant des phrases de Balzac et des autres beaux esprits. « Quand je cite tous ces bons auteurs, dit Naudé, c’est sans affectation, c’est parce qu’ils me viennent sub acumen calami, c’est parce qu’il m’est aussi séant de le faire comme aux jeunes filles qui ont esté voir de beaux jardins de se parer de fleurs qu’elles ont cueillies.