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la belle résolution d’aller se noyer en compagnie après le repas. D’ailleurs cette époque de la vie de Naudé se passa presque en voyages continuels pour chercher des livres. La Hollande, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre, furent tour à tour visitées par lui ; et il en rapporta les immenses richesses qui forment aujourd’hui la bibliothèque Mazarine. Un auteur du temps nous l’a peint d’une manière assez comique, sortant plein de poussière et de toiles d’araignées de chez les bouquinistes qui lui vendaient les livres en bloc et par tas. Que d’innocentes jouissances, que de délicieuses surprises ne dut pas éprouver le bon Naudé, lorsqu’il rencontrait ainsi mille trésors enfouis comme la perle dans le fumier ! Chaque découverte nouvelle l’animait à la recherche : il se souvenait sans doute que Logius avait trouvé Quintilien sur le comptoir d’un charcutier, et que Papire Masson rencontra les œuvres de saint Agobard chez un relieur, qui allait en faire des couvertures. Aussi nulle fatigue, nulle privation ne lui coûtait pour fonder l’un des plus beaux dépôts littéraires qu’il y ait en Europe. En revanche, la bibliothèque Mazarine n’a pas même toutes les productions de son fondateur, et l’on s’est contenté de donner son nom à je ne sais quel méchant escalier.

On comprend que Naudé ait aimé Mazarin. Qu’importe que Mazarin fut un ministre cruel et despotique ? n’avait-il pas le goût des livres, n’envoyait-il point Naudé dans toutes les contrées de l’Europe, avec permission d’acheter ce qu’il y trouverait de curieux ? Aussi je pardonne volontiers à Naudé d’avoir admiré Mazarin, et d’avoir écrit en sa faveur son chef-d’œuvre, le Mascurat. Ce n’est pas que Naudé eût beaucoup à se louer de la générosité de son protecteur, qui lui avait donné, pour toute faveur, deux petits bénéfices, un canonicat de Verdun, et le prieuré de l’Artige, en Limousin, qui rapportaient 1,200 livres de rente. À en juger même par un passage du Mascurat, Naudé, qui avait une multitude de frères et de neveux, qu’il lui fallut peut-être aider, n’était pas très à l’aise dans ses finances. Quand Sainct-Ange reproche à Mascurat d’être, « non-seulement mouchard, mais encore conseiller, émissaire, advocat, factotum, secrétaire du cardinal, » Naudé lui fait répondre : « Je voudrois que tu eusses menty toute ta vie, et que ce que tu viens de dire fust véritable ; je ne serois pas affamé comme un rat d’église, ou chargé d’argent comme un crapaud l’est de plumes. » Le Jugement de tout ce qui a été écrit contre Mazarin, plus connu sous le nom de Mascurat, est un pamphlet fort amusant contre tous les écrits connus sous le nom de Mazarinades. Une portion toute nouvelle du talent de Naudé s’y montre à l’aise et presque à chaque page. C’est une plaisanterie attique, un sarcasme de bon goût, une causticité sans amertume, qui donne déjà idée de la manière toute nouvelle que déploya plus tard Pascal dans les Provin-