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GABRIEL NAUDÉ.

deux écrivains qu’on peut, pour leurs opinions consciencieuses et absolues, rapprocher de M. de La Mennais, MM. Buchez et Roux, dans l’une de ces belles préfaces dont ils font précéder les volumes de leur Histoire parlementaire de la révolution française, ont dit ce qu’il était loyalement possible de hasarder pour la justification théorique de cette déplorable journée du 24 août 1572. Quant à Naudé, il y a une chose qui explique parfaitement son éloge de Charles IX, et je m’étonne qu’on ne l’ait pas encore invoquée. Naudé avait dû connaître Hobbes, qui était lié avec Gassendi ; ou du moins, s’il ne l’avait jamais vu, il adoptait les principales idées de sa philosophie. Or, on sait que cette philosophie aboutissant en politique au despotisme, l’auteur avait eu la logique de son système, et avait quitté l’Angleterre lors de l’exécution de Charles Ier, pour y revenir quand Cromwell y eut assis sa dictature, parce qu’il lui devait respect comme despote. Il n’est donc pas étonnant que cet homme singulier, qui croyait à peine à Dieu, et tremblait à la pensée du démon, qui n’avait pas foi à la liberté, mais qui dressait un autel à la tyrannie ; il n’est pas étonnant que Hobbes ait laissé quelques-unes de ses idées à Naudé. Toutefois, et je me hâte de le dire, l’auteur des Coups d’état n’a saisi dans l’histoire que le côté particulier, concret et contingent ; bien qu’il vécût au temps de Vico, les idées de la Scienza nuova lui échappent absolument. Le rôle de l’infini, du général, de l’absolu dans le développement humain, n’a pas été compris par lui. Notre siècle, fécond en grands historiens, a au contraire parfaitement profité de ces pensées ; mais peut-être est-il à craindre qu’on ne fasse peu à peu disparaître les hommes sous les idées, et il serait à désirer que le sens juste et modéré reprît un peu de son empire, et rétablît en leur vrai lieu certaines portions grandies ou rabaissées à tort. M. Guérard, dans un excellent travail sur l’influence du clergé, sous les deux premières races, inséré récemment aux Mémoires de l’Académie des Inscriptions, a redressé, à propos de Charlemagne, par exemple, quelques-uns de ces jugemens exagérés.

Son protecteur étant mort en 1641, Naudé se trouva de nouveau sans emploi. Le cardinal Barberin se l’attacha ; mais cela ne dura guère, car on le voit bientôt nommé médecin de Louis XIII avec appointemens ; puis, l’année suivante, Richelieu l’appelle pour en faire son bibliothécaire : mais ce ministre étant mort presque immédiatement, Mazarin lui donna le même emploi. De retour à Paris, Naudé continua sans doute à voir Guy-Patin. Quant à Gassendi, il était en Provence. Les petites réunions philosophiques ne durent donc plus avoir le même charme ; la pétulance de la jeunesse était passée ; l’âge était venu, et avec lui la vraie appréciation des choses. Les soupers furent plus rares et moins égayés, et l’on ne dut pas y former, comme aux réunions postérieures d’Auteuil,