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passion forte et même d’une affection bien sentie. De son temps, l’amour consistait à peu près dans les galanteries de l’hôtel de Rambouillet et se bornait aux limites de la carte du Royaume de Tendre. Le goût espagnol pour les enlèvemens chevaleresques et les dévouemens amoureux ne se trouvait guère que dans les livres ou dans les poèmes. Une seule femme à cette époque était capable de sentir les brûlantes émotions de l’amour, et cette femme poussait la jalousie jusqu’à l’assassinat : c’était Christine. Quant à Naudé, la vie dut n’avoir pour lui ni secousses vives ni espérances déçues. Il la prit dès l’abord pour ce qu’elle vaut, ne la dorant pas de trop d’illusions, ne la rembrunissant pas de trop de dégoûts, existence sans concentrations intimes et sans épanouissement au dehors ; vie qui ne s’est pas créé d’idoles auxquelles il faut sacrifier, et qui s’est fait, en dehors de l’art, un but d’érudition spéciale. Toutes les passions avaient peu à peu disparu de son ame, au profit de la grande passion qui le dominait, l’amour des livres. Il s’était développé un germe d’indifférence moqueuse au fond de cette existence qui avait été un peu laissée à elle seule, et non choyée à tout propos, mollement bercée en des fêtes et en de doux présens, comme celle du poète Fortunat par exemple, ou plus tard celle de Voltaire. Pendant son séjour à Rome, il avait pris quelque chose d’italien et de peu ferme dans le caractère. Dans la cité éternelle que Néron avait brûlée, et que les prétoriens mettaient à l’encan, où chaque vice avait son temple, et où, selon l’expression de Pétrone, il y avait moins d’hommes que de dieux, sous les portiques où avaient été affichées les proscriptions de Sylla et des triumvirs, il rêva l’apothéose des tyrans et l’éloge de la Saint-Barthélemy. Cette faiblesse a mal tourné à Naudé. D’autres ont loué l’inquisition sans qu’on les en ait blâmés ; d’autres ont trouvé de hautes vues à Philippe-le-Bel et des vertus à Robespierre. Il commence même à devenir à peu près prouvé, par des pièces et des témoignages authentiques, que la Saint-Barthélemy a été plutôt une mesure prise à la légère et sans grande réflexion[1], qu’un massacre projeté long-temps à l’avance et mûri dans l’ombre. Je crois qu’il serait assez piquant de rapprocher du jugement de Naudé les opinions de quelques-uns de nos contemporains fort avancés en fait d’idées de liberté et de progrès social, qui ont tâché, je ne dirai pas de justifier, mais au moins d’expliquer la Saint-Barthélemy. Le plus illustre d’entre eux, avant de s’être jeté brusquement dans les luttes de la démocratie, montra en l’une de ces admirables brochures, qui n’ont pas été le côté le moins vif et le moins retentissant de sa gloire, une approbation assez prononcée de la Ligue. Plus récemment,

  1. Voyez le tome vii de l’excellente collection publiée par MM. Danjou et Cimber sous le titre d’Archives curieuses de l’histoire de France.