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GABRIEL NAUDÉ.

bibliothécaire ; je me persuade pourtant que tous deux n’étoient guère inquiétez ni chargez de scrupules de la conscience. Toutefois, je vous dirai que M. Naudé étoit un homme fort sage, fort réglé, fort prudent, qui sembloit vivre dans une certaine équité naturelle, qui étoit très bon ami, fort égal et fort légal, qui s’est toujours fort fié à moi et à personne autant que moi, si ce n’est peut-être à feu M. Moreau ; point jureur ni mocqueur, point ivrogne ; il ne but jamais que de l’eau. Je ne l’ai jamais vu mentir à son escient ; il prisoit fort Charron et la République de Bodin. Je concluds que l’homme est un chétif animal, bien bizarre, sujet à ses opinions, fantasque et capricieux, qui tend à ses fins, et qui toute la vie n’aboutit guère à son profit, particulièrement en pensées non seulement vagues, mais quelquefois extravagantes. Aussi plusieurs n’y réussirent-ils pas, et même M. Naudé n’y a pas trouvé son compte, tout savant qu’il fut[1]. »

On peut conclure de cette dernière phrase que la fortune n’abonda pas toujours chez Naudé. En effet, son goût assez dispendieux pour les livres, et la pension modique que lui faisait le cardinal de Bagni devaient à peine suffire à ses besoins, avec le peu de profit que lui rapportaient ses livres. Modeste en ses goûts, toujours en causeries de savant, ou enfermé dans sa bibliothèque, il semble cependant qu’il aurait dû trouver dans ses ressources, sinon l’aurea mediocritas, du moins le res angusta domi. Il faut qu’il n’en ait pas été toujours ainsi, car, dans un volume d’épigrammes latines, publiées plus tard, en 1650, il remercie les frères du Puy de l’amitié qu’ils ont bien voulu lui montrer lorsqu’il était à Rome, quamvis egentem[2]. Ce peu d’aisance, ainsi que ses goûts solitaires de bibliophile, empêchèrent sans doute Naudé de se marier. La femme ne lui paraissait guère qu’un ustensile assez inutile dans l’ameublement d’une maison. Il préférait « une bonne mesnagère et couturière à une sçavante[3]. » On lui fait même dire dans le Naudæana : « Je ne pourrai me résoudre à me marier ; ce marché est trop épineux et plein de difficulté pour un homme d’étude. » Il était de l’avis de l’avocat Guion, qui, en achetant un exemplaire des œuvres de Mlle de Gournay, citait certain passage d’Accurse : Puer bibens vinum et mulier loquens latinum nunquam facient finem bonam[4]. Naudé était peu susceptible d’une

  1. Lettres choisies, tom. iv, pag. 231 et suivantes.
  2. Naudæi epigrammata, 1630, in-12. Dédicace.
  3. Mascurat, pag. 80.
  4. Walter Scott, dans son savant ouvrage intitulé : Demonology and Witcheraft, ch. iv, a inséré un jugement assez curieux sur Naudé. Mais l’illustre écrivain, mal informé sans doute, fait de notre auteur un ecclésiastique. C’est une erreur qu’il est utile de relever, les éditions populaires de Walter Scott se multipliant de plus en plus en France.