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ciel comme s’il en était au-dessus ; qu’il s’imagine que la cour est le lieu du monde où il se dit et se fait le plus de sottises, où les amitiés sont les plus capricieuses et intéressées, les hommes les plus masqués, les maîtres les moins affectionnés à leurs serviteurs ; qu’il se pique d’une pauvreté généreuse, d’une liberté philosophique, mais sévère, et d’une grande obstination au bien. » Sans doute, le portrait qu’il trace est beau ; mais son livre n’en est pas moins un livre blâmable, à propos duquel on pourra toujours redire ce que l’auteur avait écrit autre part : « La plume des sçavans a la vertu de servir bien souvent d’ombrage aux plus notables imperfections, et d’eslever, sur la noblesse de ses aisles, ce qui mériteroit d’estre caché dans les profonds abysmes de l’oubliance. » Oui, on ne saurait trop le répéter, ce sera toujours une tache pour la mémoire de Naudé que son apologie de la Saint-Barthélemy. Il y a des crimes qu’on ne peut essayer de justifier sans s’exposer aux malédictions de l’histoire. Mais en ne jugeant que pour ce qu’elles valent, ces pages arrachées à la faiblesse, on peut conclure que le livre de Naudé tend à immoler entièrement le droit privé au droit public. Il en était encore au point de vue de l’antiquité. Le christianisme vint apporter dans la société l’idée perfectionnée du droit particulier et de l’égalité individuelle. Toutes les tendances de progrès doivent donc se manifester dans le sens de l’alliance de plus en plus intime de ces deux principes. C’est là le problème de l’avenir. Le livre de Naudé, qui était rétrograde en politique, dut peu convenir à la liberté de pensées de ses amis. Aussi on trouve dans les lettres de Guy-Patin un passage extrêmement caractéristique où l’opinion du hardi sceptique échappe presque en entier et achève de mettre en lumière le cercle philosophique de Gentilly. Ce fragment a été écrit après la mort de Naudé, et il est d’autant plus remarquable, que l’âcreté de Guy-Patin s’y montre à l’aise : « L’auteur des Coups d’état, dit-il, étoit en un lieu où il flattoit le pape et son patron le cardinal de Bagni, où il avoit peur de l’inquisition et de la tyrannie, et de laquelle même, à ce qu’on m’assure, il avoit été menacé : de plus, il avoit une grande pente à ne prendre aucun parti de religion, ayant l’esprit tout plein de considérations, réflexions et observations politiques sur la vie des princes et le gouvernement du monde, et sur la moinerie aujourd’huy répandue en Europe, de sorte qu’il étoit bien plutôt politique que catholique… Je ne veux pas oublier que M. Naudé faisoit grand état de Tacite et de Machiavel ; quoi qu’il en soit, je crois qu’il étoit de la religion de son profit et de sa fortune, doctrine qu’il avoit puisée à Rome. Mais ce discours m’ennuye ; je vous dirai en un mot, je ne sçais qui a été le meilleur, ou l’écolier ou le maître, Rome ou Paris, le cardinal de Bagni ou son secrétaire latin, le cardinal Mazarin ou son