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bibliographiques, il consacra le temps que lui laissaient tous ces travaux et les affaires du cardinal de Bagni à une Bibliographie politique qui lui coûta, dit-il, beaucoup de peine[1], et qui fut regardée long-temps comme un excellent livre. Cependant, les idées politiques de Naudé prenaient chaque jour une forme plus déterminée. Il en était arrivé à un certain fatalisme historique qui ne voyait dans les révolutions successives de l’humanité que des modifications semblables à celles des formes matérielles, mais sans croire à rien de progressif dans les idées. « Toutes les choses du monde, écrivait-il, sans en excepter aucune, sont sujettes à divers bouleversements qui les rendent beaucoup estimées en un temps, puis mesprisées et ridicules en l’autre, font monter auiourdhuy ce qui doit tomber demain, et tournent ainsi perpétuellement cette grande roue des siècles qui fait paroistre mourir et renaistre chacun à son tour sur le théâtre du monde. Les empires, les sectes, les arts ne sont pas exempts de cette vicissitude. Les peuples, après avoir paru et dominé en un certain temps, se ralentissent par après, et retombent dans une grande barbarie, de la quelle à peine ils sont relevez qu’ils y retournent encore, quittant ainsi la place et demeurant dans un perpétuel conflict, pour paroistre les uns après les autres, comme Castor et Pollux, ou plutôt pour régner successivement comme Atrœus et Thyestes. » Cette appréciation morne et froide des empires qui tombent sans profit pour l’humanité, cette contemplation inflexible de la société toujours en douleur pour ne rien enfanter, cette croyance que chaque temps s’accomplit, non en vue de l’avenir, mais pour soi et en dehors de la sphère des idées ; en un mot, ce fatalisme historique, comme je l’ai déjà dit, durent conduire Naudé à de fausses conséquences politiques. C’est ce qui arriva pour le malheur de sa mémoire.

Le cardinal de Bagni désirait voir résumées toutes les vues de la politique ambiguë de son temps, toutes les idées romaines sur les matières d’état. Naudé écrivit donc pour lui, et non pour M. d’Emeri, intendant des finances, comme on l’a dit à tort, un opuscule malheureusement célèbre, et qui, selon M. Dupin aîné[2], aurait été tracé sur le canevas du Prince de Machiavel, dont il surpasserait la cruelle profondeur. Les Coups d’état de Naudé n’ont pas seulement laissé trace dans le monde politique, mais ils ont encore donné naissance, parmi les bibliophiles, à une querelle dont ce ne serait pas ici le lieu de parler, si la bonne foi de notre auteur n’y était gravement compromise. Il est dit, dans la préface des Coups d’état, que ce livre, fait par obéissance, n’a été tiré qu’à

  1. Epistola Naudœi. Genève, 1677. Pag. 284.
  2. Lettres sur la profession d’avocat, cinquième édition, tom. ii, pag. 58.