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GABRIEL NAUDÉ.

prosélytisme, et presque en propagande religieuse, cette opinion souvent manifestée par lui, qu’en fait de culte il fallait demeurer comme l’on était[1], Naudé fut contraint de s’habituer à une hypocrisie d’opinions qui convenait peu à son caractère. Je suis même étonné qu’il ait osé entretenir en Italie des liaisons avec Cremonin dont la religion, selon Patin, était aussi douteuse que celle de Pomponace, de Cardan et de Machiavel. La politique théorique avait déjà séduit Naudé, car son école voyait avec peine la coterie de la cour envahir un sujet qui était, selon elle, de son domaine exclusif. Comme Balzac avait mis du bel esprit et du phœbus dans son Prince, ainsi qu’on disait alors, Naudé voulut porter sa méthode de critique érudite dans la politique. Quelques mois avant son voyage, il publia donc une Addition à l’Histoire de Louis XI. Ce n’est pas une histoire méthodique et profonde comme celle de Commines, ou une chronique scandaleuse comme les pages de Jean de Troyes, mais plutôt des notes un peu diffuses, où on trouve de tout, par exemple, des détails fort curieux sur la barbarie scolastique, et des recherches savantes sur le prix des livres avant l’imprimerie, et sur la typographie elle-même. Naudé professe pour Louis XI une grande admiration. Colletet lui dit même, à la suite des vers grecs, latins et français qui suivent la préface, qu’il n’appartenait qu’à lui d’éclaircir le soleil et de blanchir l’yvoire. D’où viennent de la part de Naudé, homme probe et incapable de mensonge, ces continuels éloges du plus trompeur et du plus parjure de nos rois ? Est-ce parce qu’il a ramené l’unité dans la monarchie, en rabaissant au profit des classes moyennes les grandes têtes féodales qui jetaient de l’ombrage sur son trône ? Non, ces conséquences n’étaient pas encore visibles, bien que Richelieu continuât alors l’œuvre de Louis XI. Ce qui causait l’admiration de Naudé, c’était sans doute la devise : Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner. En effet, les traditions de Machiavel avaient propagé parmi les savans cette conviction, que la politique est un art de dissimulation continuelle où la bonne foi est nuisible, et où les moyens importent peu quand la fin doit être bonne. Quoi qu’il en soit, malgré l’essai de Duclos, le caractère de Louis XI, que Walter Scott a commencé à mettre en lumière, attend encore un historien. L’opuscule de Naudé devra entrer dans les matériaux d’un livre qui avait été, dit-on, écrit par l’homme le plus capable de l’exécuter, par le plus grand écrivain que la France ait jamais eu peut-être, Montesquieu. Arrivé à Rome, Naudé continua à s’occuper de politique. Au milieu d’une multitude de publications érudites, de querelles sur l’auteur de l’Imitation de J.-C., de mémoires sur des points

  1. Lettres choisies de Guy-Patin, tom. iii, pag. 394.