Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/465

Cette page a été validée par deux contributeurs.
461
GABRIEL NAUDÉ.

qu’avaient dites autrefois Gassendi et Naudé. Je ne crois pas pourtant que le caractère de Guy-Patin se retrouvât là en entier. Tout aussi y était plus ouvert, mieux assorti ; il y avait plus de science du bien-vivre, plus d’aisance dans la critique. Mais au fond l’agrément intarissable des causeries, la prodigue verve du bon sens et d’un esprit naturel, le commerce facile, le doute modéré et un peu moqueur, tout rappelait Gentilly dans cette philosophie accommodante dont le dernier et le plus vénérable représentant, M. de Tracy, vient de mourir.

Cependant, pour en revenir à Naudé, sur lequel il est temps d’insister, le président de Mesmes le gardait toujours comme bibliothécaire. Par reconnaissance, Naudé lui dédia son Advis pour dresser une bibliothèque[1]. Le sujet, pour le temps, devait piquer singulièrement la curiosité érudite des beaux esprits ; tous les savans s’empressèrent de lire un livre qui n’avait de modèle que dans deux opuscules assez ignorés, l’un de Juste-Lipse[2], l’autre de Richard de Bury[3]. On trouve beaucoup de sagesse et de bon goût dans ce petit traité, où Naudé professe pour son époque les idées les plus larges ; il veut que tous les livres, hérétiques ou non, soient admis dans ces vastes catacombes de la pensée humaine, qu’on nomme bibliothèques, et qu’il voudrait généreusement voir ouvertes au public ; il met aussi toute son adresse de savant et tout son amour-propre de bibliothécaire en jeu, pour engager, par d’adroites flatteries, le président de Mesmes à acheter des livres. Dans ce dessein, il procède par ces énumérations historiques que nous avons déjà fait remarquer dans son style. Invoquant tour à tour Ptolémée-Philadelphe, qui donna 15 talens des œuvres d’Euripide, et Aristote qui acheta 72,000 sesterces les œuvres de Speusippe, et Platon qui employa 1,000 deniers à l’acquisition des écrits de Philolaus, et Hurtado de Mendoza qui fit venir d’Orient un vaisseau de livres, et Pic de la Mirandole qui dépensa 7,000 écus en manuscrits, et ce roi de France qui mit sa vaisselle en gage contre un livre de médecine, il a pourtant oublié, chose étrange, ce Panorme, tant admiré des bibliophiles, qui échangea sa maison contre un Tite-Live. Si Naudé mettait ainsi à contribution toute la science de l’antiquité pour engager son protecteur à augmenter les rayons de sa bibliothèque, c’est que la passion des livres, cette passion innocente qu’ignoraient les anciens, et qui a brouillé tant de ménages modernes, c’est que l’amour du bouquin l’avait absorbé tout entier. Naudé, d’ailleurs, je me hâte de le dire, avait une plus vaste capacité d’affection, et

  1. Paris, 1627, in-12.
  2. De bibliothecis syntagna.
  3. Philobiblion.