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et pour qui on n’écrivait guère. Ainsi Gassendi trouve que la philosophie est contente de peu de juges et doit éviter les jugemens de la foule. À chaque instant Naudé manifeste aussi ses craintes de se profaner, comme il dit, jusqu’à la connaissance du vulgaire[1]. Cette espèce d’aristocratie érudite s’étendait à la littérature ; ainsi, au point de vue du comité de Gentilly, Corneille n’est qu’un illustre faiseur de comédies[2] ; on se moque fort agréablement de Balzac quand il appelle un fagot, un soleil de la nuit[3]. Gassendi faisait, il est vrai, des vers, dans sa jeunesse, mais il avait dit adieu depuis très long-temps à ces sortes d’amusemens ; quant à Naudé, il rendait volontiers mépris pour mépris à cette littérature facile, qui faisait profession de composer des fables et des rencontres amoureuses pour l’entretien des femmes et des petits enfans. Ce dédain mutuel des poètes de la cour et du petit comité dont nous faisons l’histoire, montre bien qu’il y avait peu de rapports entre ces deux coteries. Qu’eussent en effet été faire Naudé et Gassendi aux réunions de l’hôtel de Rambouillet ? et de leur côté, comment les beaux esprits habitués à bien dîner et à recevoir de grasses pensions et de bons bénéfices, se fussent-ils habitués à la pauvreté de Naudé, aux réceptions intimes et sans façon de ses deux amis ? Aussi Tallemant des Réaux, qui abonde dans ses historiettes en récits de toute sorte sur les Voiture et les Chapelain, garde un silence absolu à propos du cercle de Guy-Patin. Il tenait cependant, pour l’allure franche et le piquant du récit, à cette école parisienne dont Gabriel Naudé affectait de prendre le titre. Mais les beaux esprits regardaient ces érudits comme des savans impies et indécrottables dont il était à peu près inutile de parler ; et pourtant ne serait-il pas vrai de dire que, malgré le dédain que professaient, à leur tour, nos savans pour la littérature courante, ils eurent sur La Fontaine, sur Molière, une influence sourde et cachée ? L’esprit si fin de Naudé, et qui nous paraît lourd en certains points, parce que toutes les allusions sont perdues pour nous, n’est-il pas un des germes du génie de l’auteur de Tartufe ?

Lamothe-le-Vayer était donc à peu près le seul écrivain de la cour qui vînt se mêler quelquefois au cercle de Gentilly. La nature de ses écrits, en général sérieux, et sa manière de voir, libre et fantasque en ses allures, l’en rapprochaient volontiers. Je crois pourtant qu’il n’y fut jamais reçu sur ce ton de familiarité et de simple franchise dont on usait envers les autres amis. Il était de la cour, et quand il venait à Gentilly, la servante de Naudé mettait sans doute la nappe blanche, et tâchait de sauver, tant

  1. Voyez son Apologie, ch. iv, etc.
  2. Lettres choisies de Guy-Patin, tom. i, pag. 203.
  3. Mascurat, pag. 13.