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GABRIEL NAUDÉ.

jamais louer personne, et avec cela fantasque et capricieux. On trouvait encore de temps à autre, dans la société des trois amis, le savant Diodati, Bernier qui alla porter la philosophie de Gassendi jusqu’aux Indes, le poète Guillaume Colletet, célèbre par ses amours ancillaires, qui épousa successivement trois de ses servantes et accepta d’elles, comme dot, les gages qu’il leur devait ; le bibliothécaire de Richelieu, Gaffarel, lorsqu’il ne voyageait pas, et enfin Sorbière, qui, plus jeune que son maître Gassendi, entra dans le petit comité seulement vers la fin, et qui tour à tour protestant et catholique, retournant sa jaquette, comme dit Patin, ne dut qu’apparaître çà et là, au milieu des courses de sa vie aventureuse, dans les réunions sceptiques dont nous essayons de donner une idée. Le philosophe italien Campanella, qui termina en France son existence orageuse, dut aussi venir quelquefois y causer de Hobbes et d’Épicure avec son rival Gassendi. — Pour Naudé, homme sans ambition, sage, prudent, de mœurs très pures, ne revenant guère des premières impressions, ami discret et réservé, d’affection sûre et plus intérieure qu’expansive, Naudé, dis-je, écrivain de bon goût, emunctæ naris, s’était toujours tenu assez volontiers en dehors des factions politiques présentes et des coteries du temps. Ayant à peine de quoi suffire aux premiers besoins, heureux pourtant en cette médiocrité, il aimait à faire valoir « son petit talent dans la vie contemplative, sans se vouloir empêcher et empêtrer dans l’active. » La modération, était la base de la conduite de Naudé ; aussi, comme il le dit, « il aimait à aller rondement en besogne, ne cherchant qu’un gain honnête et modéré, ne faisant point le muguet, le marjolet, l’enfariné, le fanfaron, ennemi de toutes sortes de grivelées, » et préférant sa bibliothèque Mazarine au premier royaume d’Europe, comme le cicéronien Bembo mettait le style de l’orateur latin au-dessus du duché de Mantoue.

Les soirées de Gentilly devaient être fort amusantes, lorsque la conversation était ainsi tenue par des esprits aussi indépendans, par des types aussi bien caractérisés. La gaieté, la folle joie même, n’étaient pas interdites chez les admirateurs de Rabelais, et après une longue causerie sur le dernier livre de M. de Saumaise, ou après une lecture du catalogue de la prochaine foire de Francfort, entre une échappée contre Richelieu, et quelques bruits de la ville sur les commencemens de Marion Delorme, toute jeune encore, s’il venait à être question du grand Vossius et de sa nombreuse famille, on ne manquait pas de se demander avec Grotius : Scriberet ne accuratius an gigneret facilius ? À quoi Guy-Patin se hâtait de répondre qu’il s’acquittait aussi bien de l’un que de l’autre. L’érudition littéraire, philosophique et médicale faisait donc à peu près tout le fonds des interminables causeries, On se tenait à l’écart de la foule qu’on dédaignait