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sens sont les portes de toute connaissance[1]. » On comprend quelle immense influence dut avoir, sur les hommes dont nous nous occupons, la philosophie sensualiste, et combien les réunions de Gentilly devaient être souvent sceptiques et hardies, au milieu des détours sans fin d’une causerie amicale. Gassendi appartenait par plus d’un point aux philosophes du siècle précédent. Écrivant comme eux en latin, il était comme eux érudit, ce qui l’a fait appeler, par Tennemann, le plus savant parmi les philosophes et le plus philosophe parmi les savans. C’était d’ailleurs un bonhomme, comme le dit Guy-Patin dans une de ses lettres, parlant beaucoup, mais avec modération, prêchant de petits sermons dès l’âge de six ans, disert et parfois rhéteur. Il ne se mêlait guère aux choses présentes que dans la conversation intime et pour en rire. Le portrait d’Épicure, dessiné sur un modèle trouvé à Rome, et que lui envoyait Naudé, ou une proposition astronomique de Galilée, l’occupait beaucoup plus que les évènemens de son temps, fût-ce même l’exécution de Cinq-Mars et de De Thou. Gassendi était fort recherché parmi les savans à cause de sa grande réputation, et une reine lui écrivait au milieu de sa gloire : « Je désirerois cultiver avec soin l’estime et la bienveillance d’un si grand homme que vous estes, et d’interrompre vos méditations et vostre loisir par des lettres qui soyent la confirmation de nostre commerce. » Dans ses rapports sociaux, Gassendi était fort doux, modéré, et facile à la discussion. Aussi, dans sa querelle avec Descartes, que je rappelle avec peine, parce que les premiers torts sont du côté du père de la philosophie moderne, Gassendi n’employa pas, dès l’abord, les termes méprisans dont l’accable Descartes ; car, si l’on crie : Ô esprit ! on a vite répondu : Ô chair !

Dans ces réunions, où Gassendi faisait preuve d’une retenue et d’une modération souvent éclectiques, Guy-Patin, au contraire, caractère fantasque, original, apportait un esprit souvent prévenu d’avance, caustique, hardi, plaisant au fond, mais sous une forme amère. Si les gestes et l’extérieur coïncident avec le caractère, ceux de Patin devaient être anguleux et saccadés. Affectant de la froideur dans ses paroles, et visant pourtant à une certaine éloquence de conversation ; peu sensible et ne rapportant guère ses sympathies qu’à de l’amour-propre littéraire ou à de l’amitié scientifique, Guy-Patin, homme de beaucoup d’esprit et d’une littérature fleurie d’ailleurs, était singulièrement tourné à l’ironie et au sarcasme. Il résumait en lui la philosophie de Charron en son côté mécon-

  1. Apologie, etc., ch. XVIII. — Le sens qu’attache Naudé à ces paroles n’est pas contestable par l’esprit général de ses autres écrits.