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le xviiie siècle. Les grands écrivains du règne de Louis XIV renièrent dédaigneusement ceux qui avaient bercé leur enfance. On aurait dû leur savoir gré de leurs tentatives, on aurait dû se souvenir qu’ils avaient appartenu à un temps difficile, où les commotions du siècle précédent agitaient encore les esprits, et où la science, confondue avec l’art, était impuissante, faute de but et d’esprit de critique. Le xvie siècle avait légué au xviie les haines mal éteintes de la Ligue, l’écho de la parole brutale et populaire de Luther, le dogmatisme de Calvin, et le scepticisme tolérant et facile de Montaigne ; lourd et accablant héritage qui eût affaissé l’intelligence, ou du moins l’eût dirigée en un autre sens, si la main puissante de Richelieu n’eût serré en un faisceau, et presque à les briser, les élémens politiques épars, et si Pascal n’avait enchaîné le Doute derrière le char de la Foi. Ceci posé, il est facile de concevoir qu’entre Luther et Bossuet, entre Bacon et Descartes, entre l’empirisme et l’idéalisme, entre Montaigne qui, ayant peur de la mort, se console en disant : que sais-je ? et Pascal qui, voyant à ses pieds l’abîme du néant, se retient à la religion avec une force surhumaine ; il est facile de concevoir qu’il se soit trouvé, entre Charron et Malebranche, au commencement du xviie siècle, une école mixte et de transition, à demi croyante et à demi sceptique, à demi littéraire et à demi savante, qu’on a oubliée parce qu’elle a côtoyé tous les partis, sans être d’aucun, parce qu’elle a beaucoup écrit, sans rien laisser qui fasse date, et qu’on puisse appeler un monument. Cette école, en poésie, subissait l’influence espagnole, ne marchait plus que l’épée au côté, récitant, sous les balcons, et la mandoline en main, des vers pleins d’une redondante afféterie et d’un bel esprit étudié. En érudition littéraire, elle conservait les savantes traditions des polygraphes du siècle précédent, de Budée et de Casaubon, et surtout des critiques de l’université de Leyde, Juste Lipse et Scaliger. Il y a donc deux divisions distinctes dans les écrivains de ce temps, et il importe de les bien séparer. D’abord, ce sont les littérateurs qui suivaient la cour, affectant les bonnes fortunes comme Voiture, faisant les braves et les fanfarons comme Scudéry ; acquérant une réputation avec des quatrains et des madrigaux, débités aux réunions de cet hôtel Rambouillet que le spirituel essai de M. Rœderer n’est guère parvenu à réhabiliter. Le temps, pour les poètes et les prosateurs, se passait en repas joyeux et assaisonnés de pointes, en galanteries débitées aux dames avec affectation de bon ton et de belles manières, ou en ces lectures de romans étendus, comme l’Astrée qu’aimait encore tant l’abbé Prévost. On visait aussi à la profondeur dans cette coterie ; Balzac faisait profession d’admirer beaucoup Tacite qu’il appelait l’ancien original des finesses modernes. Mais à côté de ce cercle, qui envahissait les siéges de l’Académie française