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LES BARDES.

Restent les lais bretons, dont on a fait grand bruit. Ce qu’il y a de plus décisif à leur égard, c’est le témoignage de Marie de France, trouvère du xiie siècle, qui prétend leur devoir le sujet de plusieurs de ses fabliaux. D’abord il ne m’est point démontré qu’elle ait dit la vérité, car dans ses contes je ne vois rien de celtique, et chez elle je ne découvre aucune trace de la plus légère connaissance du breton ; mais quand on supposerait à ces contes une origine bretonne, qu’en résulterait-il ? Un seul d’entre eux se rapporte à un personnage de la Table-Ronde, les autres sont des fabliaux comme il pouvait s’en rencontrer partout, et il importe assez peu à l’histoire de notre poésie du moyen-âge, que ceux-ci soient venus de Bretagne en Normandie, comme le dit Marie de France, ou aient passé antérieurement de Normandie en Bretagne, comme je suis porté à le penser[1].

Voilà à quoi se borne, en y joignant quelques noms propres et le germe de quelques incidens romanesques, les emprunts faits par la vieille poésie française à des traditions celtiques.

Pour achever d’être juste, il faut ajouter qu’au moyen-âge une vague renommée de merveilleux s’attachait à notre Bretagne. On parlait au loin du tombeau d’Arthur, du perron de Merlin, de la forêt de Brocheliant, pleine de merveilles et de fantômes. Les vieilles forêts druidiques sont le type de toutes ces forêts ensorcelées, jusqu’à celle d’Armide.

De plus, le nom d’un instrument de musique fort employé des trouvères, et qu’ils appellent la rote, n’est autre chose qu’une altération du mot celtique craid, qui désigne la harpe chez les bardes gallois et chez Ossian, et que Fortunat appelle chrotta britanna.

Ainsi les chants des bardes n’ont guère fourni à la lyre des trouvères que son nom.

Enfin, pour ne rien négliger de ce qui peut se rapporter aux bardes dans les coutumes particulières de la Bretagne, je rappellerai qu’elles offrent quelques traits qui paraissent remonter à eux. Nous savons, par les anciens, que les bardes figuraient dans les mariages, et, à l’heure qu’il est, il semble qu’il y ait des représentans des bardes dans ces solennités. Voici ce qui se passait, il y a

  1. Plusieurs d’entre eux font allusion à des croyances superstitieuses, qui, je crois, sont plutôt scandinaves que celtiques. Le mot lied, et en latin barbare leudus, a lui-même une origine germanique.