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REVUE DES DEUX MONDES.

Les poésies irlandaises où figure Ossian, ont conservé à leur manière le souvenir d’un moment remarquable de la destinée des bardes ; le moment où ils eurent à lutter contre le christianisme qui venait avec ses dogmes et ses chants leur disputer l’imagination et l’ame des peuples. Ce conflit curieux est indiqué naïvement dans un dialogue touchant, bien que parfois burlesque, entre Ossian, le barde par excellence, et saint Patrice, l’apôtre de l’Irlande[1].

Ici, comme en Écosse, Ossian a survécu à tous les rois, à tous les héros, avec lesquels sa glorieuse vie s’est écoulée. Son père, son fils, sont morts ; tous ses amis sont morts ; et voilà qu’on veut dans ses derniers jours lui faire adopter une croyance nouvelle. Le vieux barde est obligé de se soumettre, seulement il murmure, il se plaint que sa force soit épuisée, qu’il ne puisse mettre à la raison ceux qui l’ont converti un peu malgré lui, qui le font jeûner, qui le fatiguent de leurs psalmodies et de leurs cloches, auxquelles il préfère ses chants guerriers. Ossian témoigne énergiquement sa mauvaise humeur à saint Patrice, Saint Patrice, en missionnaire habile, prie d’abord Ossian de lui faire entendre ses chants ; Ossian profite de cette politesse du saint ; il lui récite les hauts faits de sa jeunesse et les exploits de Fingal. Patrice, alors, lui dit brutalement que Fingal est en enfer. « Si les héros de mon temps vivaient, reprend Ossian, ils le tireraient d’enfer malgré Dieu. Mais crois-tu donc que Dieu traite de la sorte le magnanime Fingal ? Eh bien ! Fingal est meilleur que lui ; car si ton Dieu était prisonnier, il le délivrerait. »

Cette étrange discussion ne nous montre-t-elle pas sous une forme naïve la résistance des anciennes traditions aux nouveaux enseignemens, les luttes qui durent avoir lieu entre les bardes et les missionnaires chrétiens.

Enfin, cette poésie, qui par moment touche au comique, n’a-t-elle pas avec moins de charme peut-être plus de vie que celle de l’Ossian calédonien ? N’accuse-t-elle pas des rapports plus manifestes, une situation plus déterminée ?

Mais quelle qu’ait été l’origine des poésies ossianiques, il est certain que le bardisme a subsisté dans les montagnes d’Écosse jus-

  1. Miss Brooke, Relicks of Irish poetry, 73.