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LES BARDES.

aux petits propriétaires, aux fermiers, au lieu de s’asseoir à la table des rois du pays.

C’est ainsi qu’en Grèce il y a encore aujourd’hui des chantres mendians et aveugles comme Homère. On trouve en Irlande de pareils personnages jusqu’à une époque fort rapprochée de la nôtre ; on en cite plusieurs qui ont vécu dans le xviie et le xviiie siècle ; tel fut Carolan (1670), Cormac (1708). Le dernier qui ait eu quelque renommée est un certain Maguire, qui, en 1736, résidait à Londres près de Charing-Cross. « Sa maison était très fréquentée, dit M. Walker, et sa rare habileté à jouer de la harpe était un attrait de plus ; le duc de New-Castle et quelques-uns des ministres venaient le visiter. Un soir, on le pria de chanter quelques airs irlandais : ils étaient plaintifs et solennels, on lui en demanda la cause ; il répondit que ceux qui les composaient étaient trop profondément affligés du sort de leur patrie pour pouvoir en trouver d’autres ; mais, ajouta-t-il, délivrez-la des fers qui pèsent sur elle, et vous n’aurez plus à nous reprocher la tristesse de nos chants. On s’offensa de cette effusion de cœur ; sa maison fut désertée peu à peu, et il mourut le cœur brisé. »

Ce pauvre aveugle, musicien, chanteur, poète, et si fidèle au culte et aux douleurs de sa patrie… c’est le dernier barde de l’Irlande.

Quant à l’Écosse, c’est le pays d’où nous est venu le nom du barde le plus célèbre, le nom d’Ossian.

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans la discussion de l’authenticité des poèmes d’Ossian ; je renverrai, pour l’examen de cette question, à une belle leçon de M. Villemain, et à celles que M. Fauriel a consacrées à Ossian dans son excellent cours de l’année dernière, dont nous pouvons espérer la prochaine publication. Je me bornerai à rappeler sommairement le résultat de la discussion.

Macpherson a été certainement de mauvaise foi en donnant comme authentiques des poèmes qu’il avait composés de morceaux conservés par la tradition et qui ont été retouchés, altérés et interpolés par lui. Le comble de la mauvaise foi a été de retraduire en gallique le texte anglais qu’il avait publié, créant ainsi un original menteur d’après une copie falsifiée.

Macpherson a donc construit son Ossian, mais les matériaux