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paie quatre fois plus que pour un autre. » Tels étaient les priviléges que faisait à la muse la loi barbare.

Le chef des bardes, personnage plus élevé que le barde domestique, est encore mieux traité par la loi galloise.

« Il recevra une double portion de butin ; il aura une double part dans les dons royaux, dans les largesses faites à l’occasion du mariage de la fille d’un chef ; il recevra cent vingt-quatre deniers de tout chanteur qui quitte la corde de soie, et devient chanteur aulique. »

On voit là une sorte de degrés académiques et comme des droits attachés à ces degrés, et prélevés par le chef des bardes.

Enfin la harpe a sa législation comme le barde, et le prix que la loi reconnaît à l’une, achève de déterminer l’importance de l’autre.

« La harpe du chef des bardes vaut cent vingt deniers, autant que celle du roi. »

C’est un prix très élevé en le comparant au prix des autres objets que la loi mentionne. 120 deniers, c’est le prix du grenier du roi, tandis que la maison du vilain n’est estimée qu’à 10 deniers, la charrue à 11 deniers ; enfin, voyez combien la harpe pacifique du barde était placée au-dessus de l’arme du guerrier ; tandis que la harpe du chef des bardes vaut 120 deniers, la lance n’est évaluée qu’à 4 deniers. Une loi galloise exceptait la harpe de la vente du mobilier que l’on faisait après la mort du possesseur ; enfin, l’usage de donner l’investiture au barde par la harpe s’est conservé fort tard ; c’était un droit, un privilége féodal, attaché à certaines propriétés ; on voit dans les titres de la terre de Kames : Citharæ argentæ dispositio pertinet ad hanc baroniam, — à cette baronnie appartient le droit de conférer la harpe d’argent.

Depuis Hoel le législateur jusqu’à Édouard Ier, pendant près de quatre siècles, l’institut des bardes subsiste avec honneur. On trouve dans cette période un assez grand nombre de petits chefs gallois qui sont bardes, et dont on possède les poésies. Nous n’en sommes plus à la sévérité antique, qui ne permettait pas de cumuler l’emploi de guerrier et celui de barde. Owen, qui vivait en 1160, vante ses exploits et ceux de ses compagnons dans des chants un peu moins emportés, un peu moins sombres que les chants des scaldes, où cependant la gaieté, quand elle s’y ren-