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Des idées qui semblent druidiques se rencontrent dans la poésie de ces bardes, tout chrétiens qu’ils sont. Telle est la croyance à la métempsycose, croyance gauloise, et sous ce rapport ils sont les derniers représentans de l’antique alliance des druides et des bardes.

Ces restes de druidisme conservés chez les bardes gallois expliquent l’animosité réciproque de ces bardes et du clergé chrétien. Saint Gildas, le Salvien de l’Angleterre, qui a écrit un petit livre plein d’une éloquence barbare sur la ruine de la Bretagne, parle avec colère et mépris de ceux qui préfèrent les accords des chantres profanes aux saintes mélodies de l’église. En revanche, Taliessin exprime son dédain pour l’ignorance des moines dans des vers qui semblent faire allusion à sa vieille science druidique. « Ils ne savent pas, dit-il, ce qui distingue le crépuscule de l’aurore ; ils ne connaissent pas la direction du vent, la cause des agitations de l’air. » Taliessin cependant conclut chrétiennement : « Que le Christ soit mon partage ! » Merlin disait : « Je ne veux pas recevoir les sacremens de ces odieux moines en robe noire ; que Dieu m’administre lui-même les sacremens. »

Tous deux détestent les moines et acceptent le christianisme ; Merlin semble l’accepter philosophiquement.

Ces sorties anti-monacales ont dû contribuer à faire de Merlin un sorcier, mais sa gloire de poète eût suffi pour lui donner sa renommée d’enchanteur. Ainsi Virgile à Naples est un magicien ; dans l’origine, entre les enchantemens de la magie et les enchantemens de la lyre, il existait une parenté qu’attestent les affinités du langage. On sait qu’en latin carmen signifie à la fois un charme et un chant. Les langues du nord offrent de semblables analogies (runor, lioth) ; la tradition populaire a conservé pour Merlin et pour Virgile le souvenir de cette association primitive de l’idée du magicien et de l’idée du poète.

Il y eut quelque chose de plus dans la métamorphose qui fit du barde gallois un devin, un prophète, l’auteur enfin des prédictions qui ont rendu au moyen-âge le nom de Merlin si célèbre. Après

    de Stone-Enge. Ayant tué son neveu par mégarde, il devint fou de douleur, et se réfugia dans une forêt. Là, il composa ses poésies dans les intervalles de son délire. Quelquefois on distingue deux Merlin ; mais je crois qu’il n’a existé qu’un seul personnage de ce nom, héros unique de deux versions d’une même légende.