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LES BARDES.

sympathie pour la poésie gauloise ; les traditions druidiques ne lui étaient pas entièrement étrangères, et il semble s’en être une fois inspiré dans sa description de la forêt de Marseille[1].

« C’était un bois sacré[2] inviolé depuis des siècles ; des rameaux entrelacés enveloppaient l’air ténébreux et les froides ombres de ces profondeurs sans soleil. Les Pans agrestes, les Sylvains rois des forêts, les nymphes, n’habitaient pas ce lieu. Il était consacré à des dieux et à des rites barbares ; des autels s’y élevaient pour d’effroyables holocaustes ; chaque arbre avait été lavé de sang humain. Là, si l’antiquité qui vit les dieux mérite quelque créance, les oiseaux craignent de se poser sur les rameaux, les bêtes sauvages de se coucher dans les fourrés ; jamais le vent ne descendit sur ces forêts, ni la foudre que secouent les noires nuées ; les arbres immobiles et muets recèlent une horreur étrange ; une eau noire ruisselle de mille fontaines ; des troncs informes et taillés sans arts sont les tristes simulacres des dieux ; leur difformité même, et la pâleur du bois pourri, épouvantent ; on redoute ces dieux dont les figures sont inconnues ; on tremble devant eux, d’autant plus qu’on les ignore.

« La tradition raconte que souvent la terre s’ébranle et les profondes cavernes mugissent ; que les ifs se prosternent et se relèvent soudain ; que la forêt, sans se consumer, resplendit des lueurs d’une incendie ; que des dragons se glissent à l’entour des rameaux qu’ils embrassent. La religion de ces peuples n’ose approcher de ce bois ; ils l’ont cédé à leurs divinités. Lorsque Phœbus est au somment de sa course, ou que la sombre nuit remplit le ciel, le prêtre lui-même pénètre en tremblant sous ces ombrages : il a peur d’y rencontrer son dieu. »

Plusieurs traits de cette description ont un caractère lugubre et fantastique, inconnu à la poésie romaine. On y reconnaît un génie plus sombre, plus barbare, et quelques traits qui semblent empruntés aux superstitions gauloises. C’est un écho de la poésie druidique dans l’imagination de Lucain.

Revenons à nos bardes.

Les bardes ne composaient pas seulement des hymnes religieux

  1. Liv. iii, v. 308.
  2. Une forêt druidique.