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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

blime. La lumière céleste qui renferme l’ame de l’apôtre rougit d’indignation ; les cieux se colorent ; c’est une éclipse comme au moment de la mort du Sauveur, pendant que ces paroles foudroyantes se font entendre : « Celui qui, sur la terre, usurpe ma place, ma place, dis-je, vacante en la présence du fils de Dieu, a fait de mon cimetière un cloaque de sang et de souillure, de sorte que l’esprit pervers, précipité du haut des cieux, se complaît là-bas. » Ces vers désignent Boniface VIII. Dans la suite du discours, l’apôtre signale d’avance la conduite criminelle des premiers papes d’Avignon, Clément V et Jean XXII, en la faisant contraster avec la sainteté de ses premiers successeurs, devenus martyrs de la foi.

Nous demandons s’il est humainement possible de dire des choses plus fortes et plus hardies ? Certes, ces paroles n’ont pas retenti seulement en Italie ; la cour d’Avignon, où siégeait alors Jean XXII, a dû en frémir. Le grand homme qui osa parler ainsi, qu’avait-il à cacher ? Est-il croyable que, pour laisser deviner sa pensée à quelques confidens, il ait habillé en logogriphes et en acrostiches ce qu’il avait proclamé avec une voix de tonnerre sur la place publique ?

Le même argument s’applique à Pétrarque. Lui aussi a parlé sans détour et attaqué de front les pontifes de son temps. Dans ses lettres, il fait la peinture la plus hideuse de la cour d’Avignon. Ces lettres, dit M. Rossetti, n’ont été rendues publiques qu’après sa mort. Comme nous savons que les lettres de Pétrarque étaient fort admirées et passaient de main en main, cela aurait besoin d’être prouvé ; mais nous n’insistons pas. M. Rossetti croit avoir trouvé un grand appui à son hypothèse dans les églogues latines de Pétrarque, composées à l’imitation de Virgile. Dans la sixième, saint Pierre et Clément VI sont mis en scène en costume de pasteurs, et sous les noms de Pamphile et de Mition. Dans la septième, la nymphe Épy, amante du pape, représente la ville d’Avignon. À cette occasion, M. Rossetti nous donne un échantillon de son érudition grecque : «Epy, semiradice di Epylogo et Epycuro, indica quella città epicurea in ristretto, in epilogo. » Nous renvoyons le savant professeur aux écoliers de collége, les premiers venus, qui auront peut-être la malice de lui faire accroire que son orthographe est correcte et son étymologie excellente. Ce n’est pourtant pas