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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

dignitaires de l’église. Il regrettait amèrement sa patrie ; il espérait encore que l’admiration due à son poème ferait révoquer les sentences portées contre lui, et qu’il serait couronné de laurier dans le même baptistère où il avait été tenu sur les fonts. Néanmoins, a-t-il flatté ou seulement ménagé les Florentins ? Ne leur dit-il pas les vérités les plus sévères ? Et cette ame si fière qui grandissait dans l’adversité, cette ame en même temps si pieuse, si contemplative, aurait profané volontairement par un mensonge continuel le double sanctuaire de la religion et de la poésie !

M. Rossetti, pour étayer son système d’amphibologie, rappelle la nature allégorique et l’obscurité de la Divine Comédie.

L’obscurité de Dante provient de son extrême laconisme, d’un langage souvent suranné et varié par des licences très fortes, de mille allusions à des détails historiques et biographiques, aujourd’hui peu connus, ou entièrement oblitérés ; d’une sphère scientifique différente de la nôtre, qui se composait de la physique et de la métaphysique d’Aristote, comme on l’entendait alors, de l’astronomie de Ptolémée et de la théologie des docteurs de l’église, tels que saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure ; quelquefois aussi de la bizarrerie de cet esprit solitaire qui, en tout, dans les expressions, les métaphores et les comparaisons, évitait les sentiers battus. Mais il n’y a jamais cette obscurité vague qui naît de la confusion des idées et du style. Quand on a pénétré le sens, on tient quelque chose de substantiel. Au reste, les passages restés ou devenus inexplicables sont peu nombreux. Ils le seraient moins encore, si les anciens commentateurs avaient apporté à leur travail plus de critique. À cet égard les commentateurs modernes ont l’avantage ; mais ils sont moins familiers avec la manière de penser du poète et de ses contemporains. Dante aspirait à l’universalité du savoir : pour le juger équitablement, il faut connaître la pauvreté de ses matériaux, source de ses erreurs.

Le moyen-âge avait un goût dominant pour l’allégorie. Plus tard on la voit encore figurer dans la peinture, et la poésie dramatique a commencé par elle. La personnification d’une idée générale ou abstraite n’a rien d’équivoque ; mais en poésie, malgré sa clarté, elle est toujours un peu froide. Pour qu’on croie à la réalité d’un être idéal, il faut qu’il prenne des traits individuels ; c’est ce qui est arrivé dans la mythologie. La plupart des divinités de la