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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 juillet 1836.


La disparition d’Armand Carrel des rangs de la presse est l’évènement le plus tristement remarquable de cette quinzaine : sa mort a consterné tout le monde, amis et adversaires, les partis et les masses ; et le mérite de l’homme a été mis en pleine lumière par le vide qu’il a laissé. Carrel avait conquis par son originalité une place que personne ne saurait occuper après lui. Simple journaliste, il s’était créé puissance politique ; il avait associé le pamphlet quotidien à l’autorité de la tribune ; sans caractère officiel, il s’était élevé à une véritable égalité avec les hommes d’état et les gouvernans.

Cette situation était unique, et Carrel la devait à sa personnalité vigoureuse. Les choses sont toujours ce que les hommes les font : Carrel avait fait de son journal un drapeau, un camp, une force.

Il est probable que le jeune publiciste eût été un grand capitaine, si les circonstances lui eussent ouvert la lice de la guerre et de la gloire. Il avait l’habitude de nourrir son esprit des traditions et des leçons de l’empereur. Puisqu’il devait périr jeune, que n’a-t-il succombé pour une cause plus noble et plus digne de lui, plutôt que de trouver sa fin dans une rencontre obscure !

Le défaut de Carrel fut l’excès du courage ; il ne s’estima pas assez lui-même ; il ne songea pas assez qu’il avait le droit et le devoir d’être avare d’une vie qui appartenait au pays. Le courage de l’homme politique ne doit pas ressembler à l’impétuosité militaire ; l’écrivain doit plutôt avoir le sang-froid qui

Sait affronter la mort et ne la donne pas.

Dans nos mœurs, on se bat moins par vengeance que par amour-propre, que par fierté, pour donner au public la preuve qu’on ne tremble pas sous la menace de la balle et de l’épée. Qui avait moins besoin que Carrel de prouver son courage, lui si loyal, si éprouvé, si chevaleresque ?

La perte d’Armand Carrel est irréparable. Il avait porté du génie dans le journalisme, dans ces luttes incessantes dont il savait, à force de verve, renouveler les détails et la monotonie ; son style nerveux, délié, svelte, énergique et pur, était admiré de Chateaubriand et de Béranger, qui tenaient à honneur de le compter parmi leurs amis. Il est beau d’avoir, à