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DIPLOMATES EUROPÉENS.

les ordres d’Alexandre. Au congrès de Vérone, c’est M. de Nesselrode qui tient la plume ; tout se fait de concert à l’égard de l’Espagne, les notes diplomatiques sont rédigées en commun ; c’est M. de Metternich qui écrit au ministre autrichien à Madrid, comme c’est M. de Nesselrode qui rappelle le ministre russe et qui fulmine des arrêts de proscription contre l’assemblée des cortès. Ce n’est plus Alexandre libéral modéré ; c’est le prince absolu, impératif, qui, par l’organe de son ministre, impose partout la loi. Si la finesse de M. de Villèle se refuse d’abord à s’engager dans une campagne coûteuse et soumise à des chances diverses, M. de Nesselrode n’hésite pas à lui écrire au nom de son maître pour lui annoncer que la Russie est décidée à tout tenter pour réprimer l’esprit de révolte dans la Péninsule. La fin de la vie d’Alexandre est remplie de cette préoccupation ; la sainte cause de la Grèce lui pèse comme un remords ; il en porte la douleur empreinte sur sa physionomie maladive ; mais que faire ? MM. de Nesselrode et de Metternich se sont emparés de son ame, ils l’ont livrée à mille terreurs ; désormais le libéralisme lui fait peur ; on lui présente comme un spectre menaçant les sociétés secrètes de son empire ; il ne comprend pas que le meilleur moyen d’occuper l’effervescence des Russes serait de les jeter sur la Turquie pour aider à la délivrance de la Grèce. On a beaucoup cherché les causes secrètes de la mort si rapide de l’empereur ; peut-être cette douleur poignante n’y fut-elle pas étrangère. Alexandre était religieux, il avait l’âme sympathique, et chaque coup de yatagan qui faisait rouler une tête de femme ou d’enfant sur les ruines d’Athènes ou de Lacédémone devait atteindre ses propres entrailles. Ce remords dévora ses derniers jours.

À la mort d’Alexandre, la Russie subit une commotion tout à la fois politique et militaire. On ne connaît pas assez dans l’Europe méridionale le caractère spécial de la famille des czars ; il y avait de l’exaltation dans l’amour filial de l’empereur Alexandre pour sa vieille mère ; il y avait un respect profond dans les czaréwitz Constantin et Nicolas pour leur aîné. Cet intérieur de famille était touchant ; la mort d’Alexandre les surprit tous, et sur son tombeau éclata ce mouvement militaire préparé par les sociétés secrètes et par une génération de jeunes officiers qui rêvaient la vieille indépendance slave. L’avènement de l’empereur Nicolas allait-il