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DIPLOMATES EUROPÉENS.

deux empereurs ; il ne fut ni absolument libéral avec l’école allemande et grecque, ni absolument vieux Russe dans ses répugnances contre Napoléon. Ce que sut apprécier Alexandre, ce fut l’obéissance intelligente du ministre à toutes ses volontés. Le comte de Nesselrode exécutait toujours, mais en tempérant ces impressions d’enthousiasme mystique qui caractérisaient souvent la politique d’Alexandre ; il ne donnait pas l’impulsion, mais il empêchait d’aller trop loin.

L’époque où commence la faveur du comte de Nesselrode est, à vrai dire, celle de l’expédition française en Russie. Le mouvement qui repoussa cette gigantesque entreprise fut plus national encore que militaire ; il fallut se retremper dans le vieux sang moscovite pour retrouver l’énergie des forêts, contre laquelle les czars luttaient depuis Pierre Ier. Alexandre, dont l’éducation et les principes s’opposaient à ce retour de barbarie, eut besoin de trouver dans son intimité des hommes auxquels il pût confier ses craintes sur le résultat du mouvement moscovite qui le dépassait. Le comte de Nesselrode devint un de ces hommes de confiance ; dès 1812, sans avoir le titre officiel de chancelier d’état, il prit la plus grande part aux immenses travaux diplomatiques d’alors. Ce fut M. de Nesselrode qui conclut et signa le traité de subsides avec l’Angleterre et l’alliance intime des deux grandes puissances contre Napoléon.

Le comte de Nesselrode ne fut pas plénipotentiaire en titre au congrès de Prague ; les pleins pouvoirs furent confiés à M. d’Anstett, diplomate habile d’ailleurs, quoique ce choix ne dût pas être très favorable au système de paix[1]. Mais l’impulsion et la direction émanaient tout entières d’Alexandre, et par conséquent du comte de Nesselrode, son interprète le plus sincère et le plus dévoué. Il était alors d’une immense importance d’entraîner l’Autriche dans la ligue contre Napoléon ; le succès de la campagne d’Allemagne en dépendait. M. de Metternich n’était rien moins que décidé à cette époque ; il voulait d’ailleurs faire acheter l’alliance de l’Autriche au plus haut prix possible. La négociation fut suivie avec une grande habileté par le comte de Nesselrode ; et à la fin du congrès de Prague, la coopération de l’Autriche était assurée aux armées

  1. M. d’Anstett était d’origine française, et Napoléon ne pardonnait pas à un Français de servir un gouvernement étranger.