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plus tard, servirent si bien le comte de Metternich dans les plus gracieux espionnages. Le comte de Nesselrode avait trente ans ; comme tous les Russes, il parlait facilement la langue française ; il n’avait rien de cet accent désagréable que tout l’esprit du comte de Metternich ne peut dissimuler. Il eut donc sa part dans les dissipations de la nouvelle cour où de jeunes femmes, tout étonnées de leur position nouvelle, s’oubliaient avec tant d’abandon, sans s’inquiéter si le chef de l’état n’était pas la tête la plus grave, la plus sérieuse et la plus sévère de son temps. Nous ne savons pourquoi, mais rien ne nous a plus fait prendre en mépris la société du consulat et de l’empire que la lecture des mémoires qui ont été publiés pour en faire l’apologie. À côté des merveilles d’un seul homme, que ces petites passions, que ces étroites intrigues sont mesquines et désolantes !

La légation russe avait alors à s’occuper d’une des questions les plus importantes du droit maritime et des gens. Le traité d’Amiens, qui ne pouvait être qu’une trêve armée entre la France et l’Angleterre, fut déchiré par les deux puissances à la fois. C’est une question oiseuse de savoir lequel des deux gouvernemens commit la première infraction au traité ; cette paix croula parce qu’elle n’était qu’un point de repos entre deux cabinets qui ne pouvaient vivre l’un à côté de l’autre dans leur gigantesque ambition. Dès que la guerre fut déclarée entre la France et l’Angleterre, Napoléon dut songer à pousser vigoureusement les hostilités ; mais pour arriver à ce résultat, il lui fallait la coopération de quelques-unes des puissances du continent. Paul Ier, ardent dans ses haines comme dans ses admirations, avait conçu une haute estime pour le premier consul, et Bonaparte, mettant à profit les sentimens de son nouvel allié, lui demanda de faire revivre le grand principe de la neutralité armée, au profit de la Russie, du Danemarck et de la Suède. Ce principe était en complète opposition avec les idées et les intérêts anglais ; le cabinet britannique n’a jamais admis que le pavillon pût couvrir la marchandise ; une escadre parut dans le Sund pour agir simultanément contre le Danemarck, la Suède et la Russie, qui avaient adhéré à la neutralité armée. Ce fut la légation russe de Paris qui arrêta, par l’organe du comte de Nesselrode, les bases fondamentales du traité sur les neutres, développement d’une grande pensée de droit maritime.