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DIPLOMATES EUROPÉENS.

nifie la civilisation russe à cette époque, civilisation tout à la fois polie et barbare, fruit venu en serre chaude ; cette femme si mâle de pensées avait fait avancer grandement la puissance russe. Le plan de Catherine semblait être dès-lors de changer la politique, jusqu’ici purement orientale, du cabinet de Saint-Pétersbourg, et de la constituer allemande et centrale ; c’était le premier pas vers une prépondérance plus marquée sur le midi de l’Europe, système qui fut repris par son petit-fils Alexandre. Pierre Ier avait montré du doigt Constantinople ; Catherine indiqua comme étape Varsovie. La puissance russe se disposait à justifier, par des actes, la réputation que lui préparaient ses correspondances littéraires et ses dépêches politiques ; c’était dans ce but qu’elle flattait l’esprit du xviiie siècle, et qu’elle caressait d’Alembert, Diderot, sorte de journalistes qui faisaient ses affaires. Quand Voltaire, courtisan dans l’intérêt de la philosophie, écrivait à la Sémiramis du Nord : « que du Nord viendrait la lumière, » il révélait cette habileté profonde qui portait Catherine à faire parler d’elle à tout prix : « À force de faire connaître le nom russe, disait-elle, on le comptera pour quelque chose en France et en Angleterre, et nous ne serons plus relégués parmi les barbares ; on parlera de nous à Versailles, à Londres et à Madrid, et il faut qu’on parle de vous en diplomatie pour conquérir de l’ascendant. »

Le jeune comte de Nesselrode entra dans le régiment des gardes de l’empereur Paul ; il obtint bientôt le titre d’aide-de-camp, et prit ses grades militaires avec le comte Pahlen, aujourd’hui ambassadeur à Paris. Peu après, il quitta l’armée active, et passa dans les légations pour suivre la carrière de son père. Nous ne sachions pas qu’on ait jamais considéré le cabinet russe en France sous le point de vue exclusif de son habileté et de sa persévérance diplomatique. On a cherché la cause de sa prépondérance dans la force matérielle de ses armées, dans son organisation absolue ; ce n’est point là que se trouve sa supériorité. Il n’y a rien de plus persévérant, de plus adroitement envahisseur que le cabinet russe ; il va lentement, sans beaucoup de bruit ; et, depuis un siècle, il a accru son empire de onze millions d’habitans, occupant plus de cinq cents lieues carrées, en y comprenant la Géorgie et la portion de la Tartarie réunie au gouvernement de la Crimée. Indépendamment de ces conquêtes, la Russie a acquis l’incontestable protec-