Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
REVUE DES DEUX MONDES.

qué de polygamie ou de polyandrie, le tout aggravé, au profit du prêtre, de quelque chose qui ressemble à l’ancien droit du seigneur.

Entré dans la science avec la prétention de terminer le duel qui y subsiste entre la matière et l’intelligence, le saint-simonisme n’a guère fait que continuer l’école sensualiste, en développant Cabanis à travers Locke et Condillac. Même avortement dans les matières politiques et sociales. Pour retrouver les premiers traits de la cosmogonie saint-simonienne, le gouvernement d’harmonie et d’amour, codifié dans la loi vivante ; le procédé hiérarchique si vague et si abusif, l’anathème sur l’héritage, la gestion par main morte, le monopole sacerdotal, réservoir immense d’où la propriété doit découler sur le monde par des millions de canaux ; pour retrouver tout cela, il suffit de feuilleter Platon, Diodore, tous les théosophes grecs, Laplace, l’abbé de Saint-Pierre, Geoffroy Saint-Hilaire dans sa Théorie des Analogues, Thomas Morus dans son Utopie, Daniel de Foë dans son Essai sur les Projets, Lantier dans son Voyage d’Antenor, Colebrooke dans ses Recherches sur la mythographie hindoue. Quant à ses plans confus d’association et de travail commun, le saint-simonisme est demeuré en arrière de Zinzendorf, de Robert Owen, de Rapp et de M. Charles Fourrier, réalisateurs plus explicites, plus positifs, plus vrais dans leurs méthodes sociétaires. Les sciences exactes ne lui doivent rien, si ce n’est l’intention, formellement accusée, de les renouveler plus tard de fond en comble. Enfin l’économie politique, dont il assure avoir changé la face, est encore, après lui, ce que l’ont faite Quesnay, Turgot, Smith, Say, Ricardo et Sismondi. À part quelques thèses d’ordre secondaire où il a plaidé, conséquent à sa foi, pour l’autorité contre la liberté industrielle, pour la mercuriale contre la concurrence, pour le tarif contre l’affranchissement fiscal, controverses de détail jetées au milieu des mille controverses qui partagent la science, il n’a réellement rien fait, rien dit, rien signalé, que les maîtres n’aient signalé, dit et fait avant lui.

Maintenant, de ce que le saint-simonisme n’a pas eu, en réalité, autant d’importance qu’il a affecté de le dire, nous ne voulons pas conclure que son passage au travers de ce monde ait été un incident complètement inutile, et qui doive toujours rester infécond. Une foule de questions, qui sommeillaient avant lui, ont été, par le fait seul de son avènement, éveillées d’une façon si brusque et si