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Alors une scission eut lieu. La famille de la rue Monsigny se sépara en deux camps, l’un aux couleurs de M. Enfantin, ayant foi en lui, quoi qu’il advînt ; l’autre dévoué à M. Bazard, et prêt à le suivre dans sa retraite. Le 19 et 21 novembre 1831 survinrent deux réunions générales de la famille, épisodes caractéristiques dans la vie saint-simonienne. M. Bazard refusa d’y assister ; il se résignait, il s’avouait vaincu. Dans la première séance, M. Enfantin parla d’abord. Il développa la théorie qui le divisait de M. Bazard, l’appel à la femme, conviée au sacerdoce en même temps que l’homme, et à titre égal ; il déclara d’une façon solennelle que si le saint-simonisme avait combattu énergiquement et rayé de son évangile l’exploitation de l’homme par l’homme, on ne pouvait ni admettre ni tolérer davantage l’exploitation de la femme par l’homme. Le christianisme, suivant lui, avait émancipé la femme, mais l’avait tenue dans la subalternité : le saint-simonisme devait affranchir la femme, et la poser comme l’égale de l’homme.

« L’homme et la femme, voilà l’individu social, disait M. Enfantin ; l’ordre moral nouveau appelle la femme à une vie nouvelle : il faut que la femme nous révèle tout ce qu’elle sent, tout ce qu’elle désire, tout ce qu’elle veut pour l’avenir. Tout homme qui prétendrait imposer une loi à la femme n’est pas saint-simonien, et la seule position du saint-simonien à l’égard de la femme, c’est de déclarer son incompétence à la juger. »

Passant de là à la théorie du couple-prêtre, de l’individu social, homme et femme, M. Enfantin ajoutait :

« La mission du prêtre est de sentir également les deux natures, de régulariser et de développer les appétits sensuels et les appétits charnels, ainsi que sa mission est encore de faciliter l’union des êtres à affections profondes en les garantissant de la violence des êtres à affections vives, et de faciliter également l’union et la vie des êtres à affections vives en les garantissant du mépris des êtres à affections profondes. »

Et plus loin :

« Qu’elle sera belle la mission du prêtre-social, homme et femme ! qu’elle sera féconde ! Tantôt il calmera les ardeurs inconsidérées de l’intelligence, ou modérera les appétits déréglés des sens ; tantôt, au contraire, il réveillera l’intelligence apathique ou réchauffera les sens engourdis ; car il devra connaître tout le charme de la décence et de la pudeur, mais aussi toute la grâce de l’abandon et de la volupté. »