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SOCIALISTES MODERNES.

Quand plus tard la controverse se fut engagée, entre saint-simoniens, sur les questions de morale, on argua, pour battre les dissidens, de cette partie du dogme, qui n’avait eu d’abord, et dans la pensée même de l’apôtre, qu’une signification politique.

Ce qu’on voulait en effet, vers ce temps, avant que la famille de la rue Monsigny eût été fondée, c’était la constitution de l’autorité, et la règle de la hiérarchie. On entend de prouver l’utilité d’un cumul, la puissance d’une fusion entre deux pouvoirs jusqu’alors tiraillés et distincts. On voulait dire : « Il n’y a plus un empereur et un pape ; il y a un Père. » On méditait un régime qu’à défaut d’autre nom on peut appeler théocratique.

Cette théocratie ou association, comme on voudra, divisait l’humanité en trois classes : savans, artistes et industriels ; hiérarchiquement soumis aux premiers industriels, aux premiers savans, aux premiers artistes. Ces chefs devaient administrer les intérêts matériels et intellectuels de la société saint-simonienne, dans les voies et selon l’esprit de la formule du maître : « l’amélioration du sort moral, physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » Ils devaient le faire suivant le mode de répartition fixé par la deuxième formule : « à chacun suivant sa capacité ; à chaque capacité suivant ses œuvres. »

Ainsi par la foi nouvelle et à l’aide de ses organes, la cité, comme le département, comme l’état, comme l’humanité, marchait vers un but unique, but immense et fécond ! Mais par quelles lois allait-on tendre vers cette ère d’harmonie universelle et de sublimes magnificences ? Quelle allait être la règle fixe et reconnue des nouveaux rapports de l’humanité ? Le droit romain et français périssant en un jour, qu’allait-on consacrer à sa place ? Aux époques critiques, comme le sont toutes celles que le monde a traversées jusqu’ici, l’humanité pouvait et devait se contenter de lois mortes ; mais une époque organique, l’époque saint-simonienne appelait la loi vivante.

« La loi vivante[1], — c’est M. Bazard qui parle —, ne se trouve qu’aux époques organiques, et alors la loi, c’est l’homme ; toujours elle a un nom, et ce nom est celui de son auteur. Et d’abord celle qui domine toutes les autres, celle qui a fondé la société, c’est, selon les temps, ou la loi de Numa, ou la loi de Moïse, ou celle du Christ, comme, dans l’avenir, ce
  1. Exposition, tome ii.