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Deux autres spectatrices, aussi muettes que la folle et plus affreuses à voir, c’étaient les deux têtes coupées la veille ; fixées toutes sanglantes aux crocs de la muraille, elles dominaient le marché, et planaient sur la multitude, destinées à imprimer la terreur dans l’ame du peuple assemblé. Leur crâne, ras et nu, brillait au soleil, déjà presque à demi desséché, et leur longue mèche de cheveux noirs pendait le long de la muraille et flottait au vent. Quelques groupes se succédaient sous ces épouvantables trophées ; ils se les montraient du doigt en devisant longuement ; le Juif qui m’accompagnait en qualité d’interprète ne me traduisait qu’imparfaitement leurs commentaires, attendu qu’il savait également mal le français et l’espagnol. J’en comprenais autant par les gestes que par la traduction.


Au-dessus de la place du Sauk, et au penchant supérieur de la colline, est le cimetière maure. Rien de plus simple : pas une inscription, pas un ornement. Nulle part la mort n’a de temple plus austère. De petits murs d’un ou deux pieds de haut marquent seuls les divisions du funèbre empire, et les longues herbes y croissent en liberté. Il est tout ouvert comme les mosquées et le tombeau des santons ; nulle clôture ne doit séparer l’homme de Dieu, ni les morts des vivans. Tous les vendredis, — c’est le dimanche des Maures, — les femmes sortent de la ville, et, gravissant lentement la colline, elles vont visiter les tombeaux. Enveloppées du grand haïk blanc, elles errent en silence au milieu de la verdure tumulaire ; on les prendrait elles-mêmes pour les ombres qu’elles viennent pleurer ou consoler. Les hommes respectent ces pèlerinages du sépulcre, et ils se tiennent tout le jour éloignés du champ funéraire. C’est peut-être la seule heure de liberté dont jouissent les Moresques, et c’est à la mort qu’elles la doivent. Le moment est bon pour les voir, car elles ne se cachent pas des chrétiens quand elles sont sûres de n’être pas aperçues des Maures.

Le cimetière chrétien est un peu plus bas et attenant au jardin de Suède. Nous avons vu qu’il avait, lui aussi, son pélerin dans le mélancolique moine de saint François.

Le cimetière des Juifs est de l’autre côté de la place, au pied même de la muraille, entre la porte du Sauk et la petite porte dite des Tanneurs, qui mène à la plage. Plus simple encore que celui