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LE MAROC.

qui, depuis long-temps, ait tenu le sceptre du Maroc. Avant d’être empereur, il avait été long-temps bacha de Mogodor et s’était fait aimer dans son gouvernement. Les exécutions capitales n’ont jamais été si rares, et l’empire jouit d’une prospérité matérielle qui ravirait d’aise nos plus fougueux tribuns. Il s’en faut que Suleiman[1], oncle et prédécesseur d’Abd-er-Rahman, quoiqu’il lui fût bien supérieur par les lumières et par le caractère, ait joui d’un règne aussi prospère ; la fin de sa vie fut orageuse et ensanglantée par une formidable insurrection des Amazirgues, race aborigène qu’on désigne à tort en Europe sous le double nom de Berbères et de Schelloks, et dont nous aurons l’occasion de parler une autre fois. Puisque le nom de Suleiman est revenu sur notre chemin, voici un autre trait de lui qui trouve ici naturellement sa place. Suleiman était campé au pied de l’Atlas dans la province de Tedla ; c’était pendant la révolte des Amazirgues, en 1819 ou 20 ; un cheick arabe découvrit qu’un inconnu s’introduisait, la nuit, dans sa tente et déshonorait son lit. Soupçonnant que le ravisseur de son honneur était un chérif, il n’osa le châtier lui-même ; il porta plainte au sultan et lui confia sa vengeance. Suleiman s’en chargea ; il pénétra sous un déguisement dans la tente de l’Arabe outragé, surprit l’adultère et le tua de sa propre main dans les ténèbres, sans savoir qui ce pouvait être. On reconnut, au jour, que c’était un officier de la garde-du-corps ; alors le sultan se prosterna la face contre terre, rendant grâce à Dieu de ce qu’appelé, par lui, à punir un si grand attentat, il n’avait pas eu le malheur de frapper un chérif de sa famille ou même son propre fils. Il y a dans ces actes de justice instinctive je ne sais quelle grandeur sauvage qui étonne et qui séduit. Si ces formes barbares répugnent à nos mœurs, à nos doctrines, on ne peut dire que dans ce cas, cependant, les lois de la morale éternelle aient été violées. Guidé par sa droiture naturelle, le barbare ici s’élève à l’héroïsme.


La seule partie de Tanger qui ait du caractère est le château ou Kassaba, bâti au sommet d’une colline, et qui domine toute la ville.

  1. Il avait usurpé le trône sur son neveu en bas âge, exactement comme Manfred en avait agi avec Conradin ; mais il le lui rendit à sa mort, en 1822.