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suivant, d’une exécution à mort. On décapitait hors la porte du marché deux contrebandiers du Riff. Ils étaient considérés comme coupables de lèse-majesté pour avoir frustré le souverain de ses droits de douane, et comme tels, on leur tranchait la tête lentement avec un mauvais couteau de poche, en commençant par la nuque. Les intrépides montagnards subirent cette torture atroce avec un stoïcisme héroïque ; ils ne proférèrent pas une plainte, et moururent en silence. Quand les têtes furent séparées du tronc, on les fit saler par un Juif en signe d’ignominie, et dans cet état elles furent accrochées à la muraille pour servir d’exemple à la foule, ainsi que cela se pratique en Italie et dans les autres eldorados de la civilisation chrétienne. L’exécution terminée, les bourreaux s’enfuirent à toutes jambes, poursuivis à coups de pierres par le peuple. C’est toujours ainsi que les spectateurs paient leurs places à ces horribles tragédies. Là encore je trouve l’origine d’un usage espagnol. À Grenade, la dernière ville d’Europe arrachée à l’empire du croissant, le bourreau a une garde à sa porte et ne sort jamais sans escorte. Ces précautions ne prouvent-elles pas que les Grenadins sont restés Maures sur ce point, et que l’exécuteur est exposé aux mêmes dangers que ses collègues d’au-delà du détroit ?

Quelque barbare que soit la législation marocaine, il faut dire cependant que la vie des hommes n’y est jamais livrée à l’arbitraire des autorités subalternes ; on réfère au sultan de toutes les condamnations capitales, et aucune ne peut recevoir d’exécution sans son ordre exprès. Il est vrai que cet ordre est généralement formulé en termes vagues, ambigus, et toujours sujets à interprétation. C’est là une ruse machiavélique ; le sultan obscurcit à dessein sa pensée, afin de pouvoir, au besoin, rejeter sur la tête d’un kaïd ou d’un bacha qu’il veut perdre, la responsabilité d’un ordre mal compris parce qu’il a été mal exprimé. Il semble qu’un despote aussi absolu que le chérif des chérifs ne devrait pas avoir besoin de prétexte pour se défaire d’un homme ; mais il est toujours plus prudent, même en Afrique, de mettre de son côté, sinon le droit, du moins les apparences du droit, et de couvrir la cupidité du masque de la justice et du bien public.

On ne dit pas que le sultan actuel, Muley-Abd-er-Rahman, use volontiers de ces moyens perfides ; c’est un homme doux, d’un esprit judicieux, d’un cœur droit, et l’un des meilleurs souverains